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Offensive du SNEP-UNSA contre l'enseignement catholique : l'éclairage juridique d'André Legrand (exclusif)

Paru dans Scolaire le lundi 30 octobre 2017.

Le syndicat UNSA de l'enseignement privé a lancé une véritable offensive juridique et mis en cause la collecte de données relatives à la situation des enseignants par le SGEC, le secrétariat général de l'enseignement catholique, et la convention qui permet à FORMIRIS d'assurer une part substancielle de la formation continue de ces mêmes enseignants. ToutEduc a demandé à André Legrand, ancien recteur, professeur de droit, de donner sur ce conflit un éclairage juridique, sans préjuger, évidemment, des décisions que pourraient prendre les tribunaux :

Au plan juridique, "l’enseignement privé" n’existe pas. Très soucieuse des droits de l’Etat, la loi Debré a refusé de reconnaître l’existence d’un enseignement concurrent de l’enseignement public ; elle ne connaît que des établissements d’enseignement privés avec lesquels l’Etat peut passer contrat pour leur permettre de concourir au service public.

Dans les faits, les choses sont évidemment beaucoup plus complexes et l’évolution des textes a entraîné de profonds changements. La gestion des recrutements et des mutations de maîtres aux statuts divers a imposé à l’enseignement catholique un important travail préalable à la gestion rectorale des affectations ; et l’obligation de réemployer ceux des maîtres contractuels qui perdent leur emploi, imposée à partir de 1981, en a encore accru le besoin. Cette exigence a amené la création d’organismes internes à l’enseignement catholique, les commissions de l’emploi. Par la suite, la mise en place des crédits limitatifs, à partir de 1985, a imposé des choix globaux, impossibles à l’échelle de chaque établissement, et qui ne pouvaient être faits que par l’enseignement catholique lui-même, obligé d’établir un catalogue de priorités dans les ouvertures et fermetures de classes, avant d’en discuter avec les autorités académiques.

La nécessité de gérer le système de manière cohérente a donc amené, parfois contre la volonté de certains ministres, l’organisation, aux différents niveaux, d’un dialogue et d’un partage des responsabilités entre les représentants de l’Etat et les responsables de l’enseignement catholique. Pour y faire face, s’appuyant sur deux institutions qui préexistaient à la loi Debré, le directeur diocésain et le secrétariat général de l’enseignement catholique, une véritable administration bis, qui présente un caractère hiérarchisé, s’est mise en place aux principaux niveaux administratifs.

Au niveau diocésain, l’instance exécutive est constituée par le directeur diocésain, nommé par l’évêque, qui joue un rôle très important dans la gestion de l’enseignement catholique, puisqu’il est, en particulier, chargé de nommer les chefs d’établissements et de leur retirer, le cas échéant, leurs fonctions et qu’il participe activement, entre autres, à l’organisation du mouvement des personnels enseignants et à la reconnaissance de leur qualification. Il assure une tutelle sur les établissements, en contrôlant et en agréant leurs projets. On l’a flanqué, en 1965, d’un comité diocésain de l’enseignement catholique (CODIEC) qui a reçu pour mission de mettre en œuvre les orientations pastorales du diocèse, elles-mêmes établies en rapport avec les orientations nationales de l’enseignement catholique.

Le SGEC, le CNEC, les CAEC

Au niveau national, le secrétariat général de l’enseignement catholique (SGEC) constitue le service de la Conférence des évêques chargé de garantir la maîtrise de cet enseignement par ces derniers. En son sein, le comité national de l’enseignement catholique (CNEC) constitue en quelque sorte l’instance législative de l’enseignement catholique : il a pour mission d’adopter des réglementations et des recommandations, en particulier dans les domaines de l’éducation et de la pédagogie. Le secrétaire général est nommé par la conférence des évêques : responsable des orientations de l’enseignement catholique, il est chargé de mettre en œuvre la politique définie par le CNEC en accord avec la Conférence des évêques et de veiller à la cohérence de son application.

La mise en place de la décentralisation, puis les mesures de déconcentration ont imposé la création, au niveau régional, d’un comité académique de l’enseignement catholique (CAEC). Il est entre autres chargé de coordonner le développement de cet enseignement, en participant à l’élaboration du schéma régional des formations et en établissant les programmes de développement, de transformation et de construction des établissements.

Les accords Lang-Cloupet

Les nécessités de la gestion ont donc imposé la mise en place de pratiques très éloignées de la philosophie de la loi Debré et le symbole de l’évolution a sans doute été la conclusion des accords Lang-Cloupet en 1992. Au plus haut niveau, le principal dirigeant de l’enseignement privé était érigé officiellement en interlocuteur légitime et direct du ministre. Les évolutions ont été consacrées par l’élaboration d’un statut au sein de l’enseignement catholique en 1970, statut qui sera révisé en 1972, puis en 2013.

Des acteurs jouent ainsi un rôle essentiel dans la gestion du système, sans qu’ils soient mentionnés dans les textes. Pour reprendre une formule de Bernard Toulemonde, la pression des faits s‘est révélée plus forte que la philosophie de la loi Debré, même si les textes législatifs et réglementaires, sur le plan juridique, n’y font jamais référence. C’est à la lumière de ce divorce qu’il faut analyser les interrogations exprimées par le syndicat SNEP-UNSA dans plusieurs communiqués dont Toutéduc a rendu compte à plusieurs reprises.

La loi Censi

Les maîtres de l’enseignement privé des établissements sous contrat relèvent pour l’essentiel de deux catégories : les maîtres contractuels, soit à titre provisoire, soit à titre définitif et les délégués rectoraux, agents contractuels soumis à un régime très voisin de celui des ex-maîtres auxiliaires de l’enseignement public. Après de longues hésitations, liées à la divergence des jurisprudences entre le Conseil d’Etat et la Cour de cassation, la question de la nature du régime juridique qui leur est applicable a été définitivement tranchée par la loi Censi du 5 janvier 2005 : ces maîtres "ont la qualité d’agents publics" ; ils sont employés et rémunérés par l’Etat et, même s’ils sont placés sous l’autorité fonctionnelle du chef d’établissement, "ils ne sont pas liés par un contrat de travail avec l’établissement".

S’appuyant sur cette qualité d’agent public, les responsables du syndicat contestent plusieurs mesures prises par des instances de l’enseignement catholique, les accusant de s’arroger des compétences excessives. Leurs récriminations concernent pour l’essentiel deux domaines : la constitution par le DGEC d’un fichier des enseignants et les conditions de l’organisation de la formation continue des enseignants.

Le SNEP-UNSA constate que le SGEC collecte un certain nombre de données sur un serveur de l’éducation nationale concernant les enseignants, en particulier leur NUMEN, leur état civil et leur situation de famille (nombre d’enfants), la quotité de service qu’ils assurent, les décharges syndicales dont ils bénéficient, leur situation de carrière (échelon, date d'entrée dans l'échelon), le nombre de trimestres acquis à 55 ans…

Des données "personnelles"

Dans la mesure où ils permettent l’identification des personnes, les renseignements collectés présentent le caractère de données "personnelles". Leur collecte, leur traitement, leur utilisation et leur conservation doivent donc faire l’objet d’une déclaration à la CNIL et il semble bien que, dans le présent pas, cette obligation ait été accomplie dans le cadre d’une déclaration simplifiée, effectuée le 17 juillet 2014 selon les dispositions des articles 24 et 31 de la loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978 modifiée.

Comme on le sait, la mise en place d’un fichier exige le respect de plusieurs principes. S’agissant de l’opportunité de la collecte et du traitement, le responsable doit annoncer aux personnes concernées les objectifs de la collecte et de l’utilisation des données, ce qu’on appelle les finalités du fichier. C’est un des points sur lesquels le SNEP-UNSA interroge la CNIL, en lui demandant d’indiquer celles qui ont été définies lors de la déclaration. Au bénéfice de cet inventaire, il apparaît cependant qu’en l’espèce, la constitution du fichier est justifiée par le rôle que jouent les instances de l’enseignement catholique dans la gestion de cet enseignement. Comme on l’a déjà dit, même si la responsabilité ultime des décisions en matière de gestion des maîtres sous contrat relève des autorités de l’Etat, le rôle de ces instances est essentiel dans leur préparation et le remettre en cause serait contraire à la philosophie qui a inspiré la mise en place de la 'cogestion" qui s’est installée entre les représentants de l’Etat et les responsables de l’enseignement privé tout au long des dernières décennies.

 "Des finalités légitimes, explicites et déterminées" ?

Restent donc les autres questions posées par le syndicat : elles concernent d’abord le principe de pertinence, parfois appelé principe de minimisation de la collecte : le responsable du traitement ne doit pas collecter plus de données que ce dont il a vraiment besoin, surtout si certaines de ces données présentent un caractère sensible ; le syndicat demande donc si, en l’espèce, la collecte et le traitement des données sont 'bien en rapport avec des finalités légitimes, explicites et déterminées". Enfin, les obligations du créateur du fichier ne se limitant pas à la déclaration, les dernières interrogations concernent le respect des obligations d’information, de sécurité et de confidentialité des données, qui incombent au responsable du traitement en vertu des textes.

Le deuxième cheval de bataille du syndicat concerne la question de la formation continue des personnels de l’enseignement catholique. A la différence de ce qui se passe dans l’enseignement public, celle-ci n’est pas assurée par l’Etat, mais confiée à des organismes privés "dans le respect du caractère propre" et dans le cadre de conventions avec l’Etat. A ce titre, l’enseignement catholique dispose d’un organisme associatif, la fédération des associations pour la formation et la promotion professionnelle dans l’enseignement catholique (FORMIRIS) qui a pris la suite de l’union nationale pour la promotion pédagogique et professionnelle dans l’enseignement catholique (UNAPEC) en 2005 et qui chapeaute 13 associations territoriales.

C'est le principe même qui est contesté

Ces organismes sont en lien direct avec le ministère et les rectorats : une convention existe ainsi entre le ministère et FORMIRIS, qui a fait l’objet d’une révision le 27 janvier 2017. C’est à ce titre que FORMIRIS organise et prend en charge la majorité des formations des personnels du privé, y compris de ceux qui relèvent d’un statut de droit privé. Pour ce faire, FORMIRIS est chargée, pour satisfaire les finalités de l’enseignement catholique , "telles qu’elles résultent du statut en vigueur, promulgué par la Conférence des évêques… et dans le respect des principes et règles posées par la charte de la formation votée par le CNEC" d’élaborer des propositions d’orientations de la formation, de répartir les crédits de formation des enseignants entre formation initiale et continue et entre formation du premier et du second degré, ainsi qu’entre la Fédération et les associations territoriales et entre les associations territoriales elles-mêmes. C’est aussi elle qui, chaque année, approuve les plans territoriaux et arrête le plan national de formation des personnels enseignants.

La convention passée avec le ministère prévoit le versement annuel d’une subvention permettant en principe de répondre aux besoins de formation, même si les restrictions budgétaires ont eu une incidence non négligeable en la matière. C’est le principe même de cette organisation, qui délègue la compétence de définir et de mettre en œuvre la politique de formation à des organismes privés placés au sein de l’enseignement catholique, que conteste finalement l’UNSEP-UNSA dans plusieurs interpellations adressées aux instances de l’Education nationale

Un équilibre politique

Les 20 questions posées à la Direction des affaires juridiques du ministère et les 28 questions adressées à l’IGEN soulèvent des problèmes multiples, allant de questions de principe, telle la conformité de l’organisation au principe de séparation des églises et de l’Etat à des problèmes d’ordre plus concret, concernant la délivrance des ordres de mission ou le remboursement des frais liés à la formation. Les deux lettres de saisine n’ont d’ailleurs pas le même statut : s’il est loisible à une organisation syndicale de saisir une direction du ministère, elle n’a pas la compétence de s’adresser à une Inspection générale placée sous l’autorité directe du ministre. Mais derrière leur diversité, ces lettres ont pour point commun de poursuivre un même but : contester le monopole des organismes internes à l’enseignement catholique sur la formation de leurs personnels et encourager la participation des enseignants du privé sous contrat aux formations que l’Etat organise pour ses propres personnels.

La convention de 2017 marque certains pas dans cette direction : elle offre ainsi la possibilité que les professeurs de l’enseignement privé sous contrat puissent bénéficier des formations organisées par les inspections. Elle traduit aussi la volonté d’un contrôle accru de l’Etat : d’une part, elle prévoit des règles plus contraignantes à propos des modalités de remboursement des frais engagés par les personnels aux formations de FORMIRIS (déplacement, hébergement ou restauration) ; de l’autre, elle renforce les modalités de contrôle de l’Etat sur FORMIRIS : comptes rendus financiers plus détaillés, évaluations pédagogiques par l’Inspection générale…

L’ambition exprimée par le SNEP-UNSA se heurte cependant à des difficultés concrètes, liées par exemple au manque d’appétence des inspecteurs pour la participation d’enseignants du privé à leurs formations. Mais surtout, elle tend à remettre en cause l’importance que la gestion de l’enseignement privé laisse à la prise en compte du "caractère propre" de ce dernier, et elle touche à un aspect qui, pour ambigu qu’il soit parfois, constitue un des éléments clés de l’équilibre politique qui s’est établi sur cette question.

 Voir aussi ToutEduc ici, ici et ici

 

 

André Legrand

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