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Pédagogie inversée : l'usage des capsules vidéos fragilise les apprentissages (analyse en SES)

Paru dans Scolaire le dimanche 20 août 2017.

La méthode rencontre un "succès fulgurant" mais est-elle efficace ? C'est la question que se sont posés deux enseignants spécialisés en SES au sujet de la pédagogie inversée qui se traduit par un temps en classe qui, "au lieu d'être utilisé à un 'exposé du savoir' par le professeur est consacré à des activités coopératives entre professeur et élèves" alors que l'appropriation des connaissances est "renvoyée au travail à la maison". Faute de travaux scientifiques en la matière, Alain Beitone (Groupe de recherche sur la démocratisation scolaire, GRDS) et Margaux Osenda (Association des professeurs de SES, APSES, et du Collectif de défense et de promotion des SES, CDP-SES) ont croisé deux approches : la synthèse, d'une part, de "la façon dont les partisans de la classe inversée présentent leur méthode", tout en posant "un certain nombre de questions sur l'innovation ainsi proposée" et, d'autre part, l'étude de 9 capsules vidéo consacrées à l'enseignement des sciences économiques et sociales (3 capsules par niveau, seconde, première et terminale), leur propre discipline, un choix justifié selon eux, car "l'on ne peut analyser les contenus de savoir de ces vidéos que si l'on connaît un minimum les savoirs de référence". Objectif étant, sur cette deuxième partie de leur étude, d'essayer de voir "si celles-ci créent les conditions d'un apprentissage efficace". L'une des conclusions qu'ils font de ce double exercice, dont les observations ont été publiées fin juin dans un article intitulé "La pédagogie inversée : une pédagogie archaïque" est celle-ci : "des expérimentations évaluées de façon rigoureuse pourquoi pas ? Une généralisation hâtive grâce à la mise en ligne de centaines de 'capsules vidéos', certainement pas".

Ils justifient cette conclusion par le fait que "quinze à vingt ans après le lancement de la classe inversée, on ne peut pas conclure à un impact de la classe inversée sur les apprentissages !". Ils citent, entre autres, un article de Bissonnette et Gauthier qui "montre, à la suite d'une méta-analyse des travaux existants, que l'on ne peut pas conclure par l'affirmative à cette question". Pour eux, "le comportement de certains professeurs qui passent à la pédagogie inversée pour en faire leur seule ou leur principale démarche pédagogique est pour le moins risqué."

Faute d'explicitation, "le risque est grand (...) de passer à côté de l'essentiel de la leçon"

Au regard des capsules qu'ils ont visionnées, les enseignants émettent plusieurs critiques : le savoir exposé en un temps très restreint (3 à 15 minutes de vidéo) "rend les apprentissages plus difficiles", il ouvre aussi le risque au "simplisme", "ne prend pas en compte les représentations sociales des élèves et ne problématise pas les savoirs [que la vidéo] transmet de façon magistrale" et laisse "à la charge de l'élève le soin d'identifier et ou construire les liens entre les concepts et les problématiques qui constituent l'enjeu des apprentissages".

Pour appuyer leur thèse, les enseignants citent d'autres travaux de J. Deauvieau, B. Bernstein et S. Bonnéry. Le troisième pointait notamment le "risque", "lorsque les élèves ne perçoivent pas clairement les enjeux et objectifs du cours, faute d'explicitation(…), de passer à côté de ce qui fait l'essentiel de la leçon et qui sera évalué".

Une démarche qui repose trop souvent sur une reproduction de contenus de vidéos

Mais leur principale critique porte sur "la démarche effectivement mise en œuvre". "Ce qui caractérise la classe inversée, c'est que le savoir est présenté ex abrupto, de façon magistrale et (...) les activités préparatoires demandées aux élèves se limitent à reproduire le contenu de la vidéo." Or, précisent-ils, la "restitution" des savoirs "ne garantit pas leur maîtrise" car "l'acte d'apprendre" est un processus qui se réalise au travers de trois étapes interdépendantes : la contextualisation, la décontextualisation et la recontextualisation", logique dans laquelle, selon eux, ne s'inscrit pas cette pratique.

Ils citent l'exemple d'une capsule dédiée à la création de la monnaie : d'une part, "le savoir n’est absolument pas problématisé, c'est-à-dire qu'à aucun moment les auteurs de la vidéo ne montrent les enjeux du cours (pourquoi s’intéresser au processus de création monétaire ?)", ce qui n'amène pas "les élèves à s'approprier le questionnement qui est à la base de la séance" ; d'autre part, "les représentations sociales ne sont absolument pas prises en compte". Le "risque" est donc "très grand que les élèves apprennent cette notion sans la comprendre, et restituent le contenu de la vidéo sans pour autant que leurs représentations en soient modifiées", estiment-ils. "L'élève saura qu'elle est la 'bonne réponse' à fournir (celle qui est exposée dans la vidéo) sans que cela ne conduise à une restructuration de son système de représentations-connaissances".

La question de la légitimité des savoirs sur le net

Les auteurs s'opposent aussi à l'argument qui consiste à dire que la fonction du professeur comme passeur de savoir est aujourd'hui rendue "obsolète" car les connaissances sont librement accessibles sur internet, mais ces informations ne sont pas toutes nécessairement des savoirs "légitimes". "Les chercheurs sérieux passent rarement leur temps à multiplier les messages sur internet pour réfuter la thèse selon laquelle la terre est plate", écrivent-ils. "De même, les climato-sceptiques sont beaucoup plus actifs sur internet que les chercheurs du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat)."

De plus, "la transformation des savoirs en connaissances ne peut se limiter à la réception d'informations (même en vidéo). Elle suppose des interactions sociales, et notamment le rôle du professeur, qui doit repérer les obstacles aux apprentissages et donner aux élèves les moyens de les franchir". Une "difficulté" d'ailleurs "perçue par certains partisans de la classe inversée", observent les professeurs qui citent un article d'Olivier et Viscogliosi, qui expliquent que, lorsque une notion du cours est ardue, les enseignants en reviennent au cours "dialogué", plus "efficace'.

Est-ce pertinent au collège et au lycée et pour tous les élèves ?

Au-delà des contenus des capsules, les chercheurs s'interrogent aussi sur la pertinence d'appliquer cette démarche au niveau du secondaire. Car il y a, selon eux, un risque du creusement des inégalités d'apprentissage, lorsque la différenciation consiste à confier à "ceux qui ont de la peine à assimiler le contenu des capsules vidéo (…) des tâches de moindre enjeu cognitif, alors que ceux qui maîtrisent les savoirs à l’entrée de la classe vont se voir proposer des approfondissements".

Pour eux, "faire travailler des ressources par les élèves en amont du cours peut se révéler pertinent à certains moments, avec certains élèves", notamment de niveaux supérieurs. "Dans n'importe quel séminaire de doctorat on prend connaissance à l'avance des 'papiers' qui seront mis en discussion, c'est indiscutablement formateur pour les jeunes doctorants, surtout si on leur demande d'être 'discutant' de l'un des textes examinés", écrivent-ils. "Mais peut-on exiger la même démarche d'un élève de collège ou de lycée ?"

L'article ici

Camille Pons

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