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Faire faire à l’école un pas de côté (André D.Robert, interview exclusive)

Paru dans Scolaire le lundi 03 juillet 2017.

André D. Robert est une figure importante des sciences de l'éducation, quoique peu connue hors du cercle des spécialistes . Professeur à Lyon-2, il a longtemps présidé la "70ème section" au CNU (Conseil national des université). Il a notamment travaillé sur le syndicalisme enseignant. Un colloque était organisé lors de son départ en retraite les 29 et 30 juin..

ToutEduc : A l’issue de ces deux jours de colloque qui vous ont été consacrés autour du concept de "forme scolaire", quels conseils donneriez-vous au système éducatif ?

André D. Robert : La récusant pour mon compte en tant que professeur habité par l’esprit critique, j’aurais mauvaise grâce à m’adresser à mes collègues des premier et second degrés en termes de prescription. J’emploierai donc plutôt le terme de réflexion, en retenant les réflexions principales qui me semblent issues du colloque et que je soumets à la discussion, en ne présageant d’ailleurs pas de leur possible opérationnalisation dans la pratique. Tout en soulignant - au moins dans certaines circonstances -, le potentiel émancipateur de l’école, plusieurs interventions ont évidemment fait état de tout ce que le monde sait peu ou prou : le caractère sélectif, voire ségrégatif du système français, de plus en plus accentué ces dernières décennies malgré les politiques compensatoires, caractère lié à ce qu’on appelle méritocratie, dont les réalités sont bien loin de ce qu’en dit sa propre mythologie. Cela se produit du fait de la relation entretenue par l’école avec la société et le système économique tels qu’ils sont, et des fonctions qui lui sont assignées ; chez beaucoup de professeurs, progressistes dans leurs idées, désireux de lutter contre les inégalités sociales et scolaires, naît un sentiment d’impuissance face au phénomène de la "reproduction", situant statistiquement la réussite à un pôle (minoritaire) de la société, et l’échec (massif, quoique connaissant divers degrés) à l’autre. Même si, localement, des réussites pédagogiques à effets démocratisants peuvent être relevées, ce phénomène de la reproduction favorable aux catégories les mieux positionnées culturellement par rapport à l’école reste majeur.

Une idée-force a, selon moi, traversé le colloque : et si on faisait faire à l’école un pas de côté, en prenant à bras le corps la question du sens ? Par exemple en substituant à la forme scolaire la forme curriculaire, c’est-à-dire une démarche où, au lieu d’une séparation de savoirs scolaires juxtaposés dont on n’interroge jamais ni la provenance historique ni la cohérence lorsqu’ils sont mis ensemble dans un cursus (en tenant celle-ci pour "naturelle"), on plaçait au premier rang la question du sens des contenus diffusés auprès des élèves et de leur articulation interne. Cela va bien au-delà des EPI, car cela suppose une manière nouvelle d’aborder les savoirs sources à l’époque contemporaine et une éventuelle redistribution des disciplines scolaires issues de ces savoirs (donc au-delà de la simple collaboration de celles qui existent au moment présent). Mais, en partant de la situation actuelle, une première étape consisterait dans la réflexion collective systématisée sur le sens (ou l’absence de sens) que peuvent prendre auprès des élèves (et particulièrement ceux qui ne sont pas en connivence culturelle immédiate avec l’école) le découpage disciplinaire imposé et telle politique d’établissement ; réflexion assortie de tentatives pédagogiques pour améliorer la perception d’une finalité légitimée à ce que l’école enseigne.

ToutEduc : C’est cette question du sens qui a été centrale dans vos travaux ?

André D. Robert : La forme scolaire, pour trop d’élèves aujourd’hui (et même parfois chez les meilleurs qui ne la perçoivent que sous son aspect utilitaire de pourvoyeuse, pour eux, des meilleures places) ne fait pas sens, ou fait sens négativement, engendrant décrochage et/ou souffrance, rejet, résistance. Afin de pallier ce déficit, il convient donc de penser et faire continument penser le sens à même la forme scolaire, c’est-à-dire de trouver les voies de légitimation de ce qu’on enseigne, de donner à l’école – sans la tenir pour a priori ou implicite – une désirabilité réelle face aux forces contraires que peuvent être certaine culture de masse et certaine culture politique (ou autre) de la défiance. J’ai conscience que l’opérationnalisation de cette idée n’est ni simple ni évidente, mais je crois que la formule de Foucault visant à susciter "une érotique du savoir" et une relation scolaire qui "altère sans aliéner" a toute sa pertinence. Elle redonne à l’école une valeur intrinsèque liée à la valeur tendanciellement universaliste de certains savoirs, contre le seul utilitarisme, vecteur des positions du tout puissant marché dans les affaires scolaires. Donc un pas de côté vers une fonction prioritairement culturelle de l’école, adaptée à son temps, et atténuant quelque peu ses missions économiques de répartition sur le marché du travail (dont on ne peut cependant s’affranchir, mais qu’il faudrait aussi transformer, par d’autres voies).

ToutEduc : quels conseils donneriez-vous aux personnels d’encadrement, et plus généralement à tous ceux qui encadrent le système éducatif ?

André D. Robert : Du côté de la hiérarchie administrative, la question se présente globalement de la même façon. Une récente enquête que j’ai menée auprès de PE [professeurs des écoles, ndlr] montre que ceux-ci vivent très négativement la succession constante de réformes et de textes modificateurs, ce que ma collègue F. Lantheaume appelle une "sur-prescription hétérogène", que les inspecteurs notamment sont chargés de faire appliquer. Il me semble alors qu’ici aussi une réflexion sur le sens, induisant une plus grande distance au rôle, aurait toute sa place. Je ne veux évidemment pas dire que ces personnels ne réfléchissent pas, mais de même que j’appelle précédemment le système éducatif à être moins tourné vers des fonctions sélectives, évaluatives, économiques et au bout du compte ségrégatives, de même j’estime qu’ils pourraient nettement se montrer plus délibérément réflexifs qu’évaluatifs, épousant chaque virage des politiques scolaires, et en moindre position d’affirmation hiérarchique systématique.

ToutEduc : Et la redoutable question du temps scolaire ?...

Les rythmes scolaires ? On est passé à côté d’une grande réforme, telle que la souhaitaient et avaient contribué à la préparer des chrono-biologistes de renom, dont Jacques Testu. En effet, sous la pression de l’urgence politique (Peillon) puis de la réactivité à une situation devenue politiquement difficile (Hamon), on est passé d’une réforme touchant vraiment aux rythmes de l’enfant dans l’école (par vraie réorganisation de la journée de classe), à une extrême hétérogénéité des activités péri-scolaires proposées par les communes, en fonction de leurs finances (avec des écarts de 1 à 10 sur le territoire), de leur volonté politique et de leur expérience (ou non) dans l’organisation antérieure de ces activités. Autrement dit la vraie réforme des rythmes est encore à mes yeux à l’agenda politique. Et ce n’est pas le retour annoncé à la semaine de 4 jours qui résoudra le problème !

 

Propos recueillis par Claude Baudoin, relus par A D. Robert

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