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Le droit a-t-il sa place à l'Ecole ? (Revue Diversité)

Paru dans Scolaire, Périscolaire, Justice le mardi 27 juin 2017.

"Il faut tout de suite préciser une chose essentielle : il n’existe pas de rapport abstrait entre les jeunes et la loi. Ce n’est pas à travers la connaissance d’un texte que les jeunes entrent en contact avec la loi mais c’est précisément à travers la relation avec un adulte porteur de la loi (...) Malheureusement, personne ne joue réellement ce rôle d’introduction de la loi à l’école." Denis Salas, juge pour mineurs et écrivain, ouvre avec Jacques Toubon (voir ToutEduc ici

le dernier numéro de la revue Diversité, titré "Justice et Droit dans l'Ecole". Pour son rédacteur en chef, Régis Guyon, "à l’école, il ne s’agit pas de former des juristes (...) mais de permettre aux jeunes d’acquérir les compétences sociales nécessaires pour adopter un comportement juste avec autrui, de leur donner les clés pour entrer dans un univers qui a son langage, ses règles, ses métiers…"

Un western pour évoquer les grands concepts

Mais cet objectif, apparemment simple, se heurte aussitôt à la complexité. "Prenons l’exemple du vol. En droit, le vol est 'la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui'. Mais quand on a dit cela, personne ne comprend cette langue du xixe siècle", explique Denis Salas qui voudrait qu'on ait davantage recours "à la médiation culturelle". Il prend l’exemple "du très beau western de 1962 de John Ford, L’Homme qui tua Liberty Valance. Sur le droit, il n’y a pas mieux. Il y a le 'méchant' qui transgresse la loi, il y a un avocat ; il y a aussi la sanction juste, le vivre-ensemble, l’interdit de la vengeance."

Ne se pose pas seulement la question de l'enseignement de la loi, mais aussi celle de sa place dans l'établissement. Le magistrat observe "une attitude défensive des écoles et établissements scolaires, qui consiste à considérer le droit ou la loi avant tout comme une ressource dirigée contre des jeunes qui les menacent". Ce n'est pas indépendant d'un contexte, d'un "climat général, une pression sociale, pénale, parquetière et policière", mais aussi de la situation de jeunes et de moins jeunes pour qui "la loi est ailleurs : le grand frère est en Syrie, et la loi c’est lui, c’est l’islam, c’est le djihad, etc. (...) Plus de loi commune, c’est donc plus de dialogue possible, et plus de confiance possible."

"L'humiliation est une pratique ordinaire"

Valérie Caillet (sociologue, université de Cergy-Pontoise) reprend cette question de la place de la loi. "Jusqu’à la fin des années 1960, les élèves n’y avaient que des obligations ; depuis une cinquantaine d’années, on assiste à une reconnaissance progressive et officielle des droits des élèves", mais "le développement des droits ne garantit pas le sentiment de justice des élèves". Elle donne l'exemple du conseiller principal d’éducation dont le rôle "paraît souvent difficile car il est ambigu : Donner tort à l’élève systématiquement n’est pas a priori juste", mais "cette réalité fait écho à la crainte que certains enseignants ont de voir la relation pédagogique s’inverser pour donner raison à l’élève". D'où la tentation de distinguer l'élève dans la classe, qui serait soumis à la loi de l'enseignant et l'élève dans le lycée qui aurait des droits. Or il se trouve que "les élèves investissent peu l’espace scolaire car ils n’y ont pas de sentiment d’appartenance" et pour eux, la fonction du règlement intérieur "est plutôt pénale".

Agnès Grimault-Leprince (ÉSPÉ de Bretagne) va plus loin : "Les pratiques quotidiennes des enseignants restent marquées par la prégnance de l’arbitraire", d'autant que chacun dicte ses règles, "parfois extrêmement rigides concernant le matériel scolaire" et "assorties d’un système spécifique de sanctions". S'y ajoutent des "sanctions diffuses", il peut s’agir d’un "regard désapprobateur, d’une remarque moqueuse, d’une mise à l’écart physique (au fond de la classe, face à la fenêtre) (...) L’humiliation, proscrite réglementairement, est une pratique ordinaire chez les enseignants, qu’elle soit consciente ou non", ce que remarquait déjà Sénèque. Quant à la morale, elle est "très présente dans les pratiques quotidiennes des enseignants", mais sans possibilité de s’accorder sur les normes en jeu. "L’exemple type est la difficulté qu’ont les adultes à s’accorder sur la définition de la décence (...) Certains vont accepter plus de choses que d’autres. Mais aussi, à quelle hauteur fixe-t-on la longueur décente d’une minijupe ?"

"En certaines circonstances,on est conduit à ne pas l’appliquer"

Jean-Pierre Obin prend le contre-pied. L'inspecteur général honoraire rappelle après Hannah Arendt que "le droit ne suffit pas pour décider et agir" et il évoque tous ces délits que l'administration d'un établissement s'abstient de signaler : "les injures fréquentes d’une enseignante envers ses élèves, par solidarité et par respect pour son engagement pédagogique passé ; le vol et le recel de fournitures par un assistant d’éducation, par crainte du désordre interne et d’une solidarisation des familles du quartier ; le harcèlement moral d’une élève par un professeur enamouré, pour préserver sa carrière finissante et pour ménager son épouse (...)". Il en conclut que "l’éducation au droit est particulièrement délicate puisqu’en certaines circonstances, pour des raisons morales ou éthiques qui ne sont pas illégitimes, on est conduit à ne pas l’appliquer".

Comment dès lors penser l'enseignement moral et civique ? Pierre Kahn, qui a présidé à son élaboration dans le cadre du Conseil supérieur des programmes avertit : L’EMC "a des conséquences systémiques sur le fonctionnement même de l’école française en ce qu’il suppose, non certes que les enseignants se convertissent à la philosophie pédagogique de Dewey, mais néanmoins qu’ils s’ouvrent davantage aux principes généraux d’une pédagogie active (...) Faute de quoi, [cet enseignement] ne sera qu’une étiquette que les futurs ministres pourront à leur guise ôter des programmes ou, cela revient au même, laisser collée sur des boîtes devenues vides. En cela, l’EMC demeure un pari dont il n’est pas encore sûr qu’il pourra être gagné."

Les mouvements pédagogiques, les associations, les victimes

La revue donne alors la parole à plusieurs mouvements pédagogiques. Pour l'OCCE, Jean-François Vincent pose lui aussi la question du déséquilibre des droits : "Quand les élèves doivent faire la queue au self, en respectant un ordre prédéterminé de passage, est-il normal que les enseignants passent devant eux ?" Catherine Chabrun (ICEM - pédagogie Freinet) évoque avec l'EMC "un exercice quotidien de pratiques permettant une construction de la citoyenneté pas à pas et dans tous les temps et espaces de l’école. Il suffirait donc que toutes les classes aient des pratiques coopératives pour que tous les enfants soient dans cette situation. Malheureusement, les pratiques coopératives sont minoritaires."

Claire Héber-Suffrin (Réseaux d’échanges réciproques de savoirs) met ses espoirs dans "une éducation au développement de l’humain en nous et entre nous, pour une humanité viable et vivable". Sylvie Touchard (Les Francas) estime d'ailleurs qu' "éduquer aux droits de l’homme et du citoyen, aux droits de l’enfant, dépasse le cadre d’une activité ou d’une discipline. C’est à la fois un principe à respecter et des objectifs à atteindre pour permettre d’en garantir l’effectivité et l’accès pour tous", pour "faire des droits une réalité dans les espaces éducatifs et, plus largement, dans la société".

La PJJ est-elle un partenaire ?

Mais l'école n'est pas seule. Daphné Bidard (doctorante, Aix-Marseille) adopte le point de vue des éducateurs de la PJJ qui sont unanimes: "L’Éducation nationale, on n’a jamais vraiment de rapport avec eux, même quand on les sollicite. Ils nous appellent pour qu’on vienne participer à des conseils de discipline pour un jeune suivi, mais on n’a pas de liens avec les équipes et c’est bien dommage parce que travailler ensemble, ça pourrait permettre de poser les cadres à différents niveaux." Mais la réciproque est vraie, comme en témoigne cette enseignante : "J’ai plusieurs gamins pour qui j’ai fait des informations préoccupantes avec l’assistante sociale, je sais qu’ils sont suivis à la PJJ mais j’ai jamais de lien, on ne me rappelle pas quand je demande. C’est désespérant que nos deux administrations ne puissent pas travailler ensemble."

La revue donne aussi la parole aux associations de juristes qui interviennent dans les établissements scolaires et aux spécialistes de la médiation. Elle s'interroge encore sur l'accès à leurs droits des "décrocheurs", sur la situation des jeunes délinquants marseillais, des mineurs privés de liberté, des jeunes isolés étrangers, des enfants Roms...

Diversité, n° 188, 2e trimestre 2017, "Justice et droit à l'école", 168 p. 15 €, le site ici

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