Alain Bouvier propose un autre management du système éducatif et une analyse des erreurs passées
Paru dans Scolaire le lundi 29 mai 2017.
"La surprise la plus commune pour les membres des jurys des concours de recrutement des personnels de direction est la découverte de l'ignorance abyssale du fonctionnement de leur institution que peuvent manifester, avec d'ailleurs la plus grande candeur, beaucoup d'enseignants postulant à cette fonction." C'est, pour partie, pour répondre à ce constat qu'Alain Bouvier publie "Pour le management pédagogique". Cet ouvrage, 400 pages de bon format, est d'abord une sorte d'encyclopédie et de manuel à l'usage des cadres, actuels et futurs, du système éducatif. Mais c'est aussi un plaidoyer pour une réforme, ou plus exactement, pour un autre management de la réforme, alors que partout, "sur la planète, la variété des pratiques scolaires s'accroît de façon considérable" et qu'une "nouvelle forme scolaire" émerge sous nos yeux, "hybride, très baroque, multiforme, assez éloignée de celle connue jusqu'à présent".
Mais peut-on espérer faire évoluer l'Education nationale si ne sont pas levés au préalable un certain nombre de tabous ? L'ancien recteur en compte une quarantaine. Pour n'en citer que deux : "Pourquoi la question de la qualité professionnelle des enseignants n'est-elle jamais abordée ? (...) Le dogme colporté par le milieu est qu'ils sont tous excellents et équivalents entre eux." "Le nombre des enfants sachant lire à la fin de la grande section de maternelle, secteur où règne une totale omerta (...)".
Une bureaucratie
Or "la gouvernance des académies est inadaptée", dans les établissements scolaires, les acteurs n'osent pas utiliser les marges d'autonomie dont ils disposent, notre système éducatif "s'est construit comme une bureaucratie", "manifestant de faibles préoccupations aux (...) évolutions de son environnement" et développant "une culture de la circulaire" et des "routines défensives"... Certes, il n'y a pas qu'en France que "l'école est un problème", ses difficultés sont "mondiales" et les solutions "s'apparentent à du bricolage". Mais en ce qui nous concerne, nous croyions, avant d'être confrontés aux comparaisons internationales, que notre système était "très bon. Hélas, il ne l'était pas et il l'est encore moins aujourd'hui (...) Notre école primaire réussissait bien, mais seulement pour les bons élèves, ce qui nous distingu[e] de nombreux pays."
Alain Bouvier pose donc "dix principes pour une réforme", et d'abord l'élaboration d'un "projet systémique, avec une vision, des objectifs et (...) tout mener de front, ne rien laisser d'immobile", "viser l'équité par l'individualisation des apprentissages des élèves", augmenter le nombre de jours de classe "et tenir compte des neurosciences pour arrêter les rythmes scolaires", "privilégier l'alternance", intensifier le développement professionnel des enseignants par "la pratique essentielle du retour d'expériences", rendre les parents "vraiment partie prenante", imaginer "de nouvelles formes de gouvernance territoriale, renforcer l'autoévaluation des établissements, des circonscriptions et des bassins de formation, encourager les acteurs à innover, réduire l'administration centrale "à 20 % de ses effectifs".
Une histoire du management
Ces principes ne sont pas, l'auteur le sait, consensuels. En revanche, l'analyse historique qu'il propose des formes très diverses du management dans l'éducation et des méthodes (ou de l'absence de méthode) dans la conduite du changement est adressée, avec toute la rigueur d'un mathématicien doublé d'un administrateur à tous les acteurs du système éducatif, en particulier les "cadres de proximité" auxquels va, manifestement, toute la sympathie de l'auteur.
"Pour le management pédagogique; un socle indispensable, connaître, éclairer, évaluer, agir", Alain Bouvier, préface de B. Toulemonde, éditions Berger-Levrault, 400 p. 40 €