Prolonger la réflexion de Marcel Gauchet sur les liens tendus entre éducation et démocratie. (revue Spirale)
Paru dans Scolaire le vendredi 29 janvier 2010.
La revue éducative Spirale met en ligne en accès gratuit une contribution de Paul Statius (Université de Franche-Comté), intitulée Education et démocratie: analyse d’une tension. Cet article est l’occasion de redécouvrir la pensée de Marcel Gauchet sur les liens entre démocratie et éducation. Il donne également des clefs pour découvrir l’œuvre de l’américain John Dewey, dont la réflexion dessine les contours d’une éducation "progressiste".
Dans une étude intitulée Démocratie, éducation, philosophie (2002), Marcel Gauchet formule la question des liens entre démocratie et éducation de la manière suivante: Comment articuler, dans une "société des individus", les droits individuels et la nécessaire contrainte collective ? Marcel Gauchet formule l’hypothèse du retournement de la démocratie contre elle-même. La promotion de l’"autonomie" de l’individu, issue directement de l’individualisme démocratique, ruinerait potentiellement l’acte éducatif. La dynamique démocratique s’opposerait à l’acte même de transmission et d’enseignement.
Par extension, pour le penseur français, la crise de l’école serait consubstantielle à la démocratie elle-même, et non un phénomène que des politiques scolaires pourraient résoudre. Il conviendrait ainsi de faire confiance à "l’inventivité démocratique" pour la résoudre. Tout en reconnaissant les mérites de la réflexion de Gauchet, Pierre Statius stigmatise une pensée qui laisse finalement peu de place à la contingence, et à l’action des politiques éducatives. "La lecture de Marcel Gauchet accrédite l’idée que l’essentiel est donné une fois pour toutes dès le commencement et que, par conséquent, les démocraties nationales, certes en empruntant des voies originales, finiront par reproduire un schéma directeur et confirmeront ce qui avait été préalablement posé".
Selon Marcel Gauchet, peu importe ce qui peut être tenté dans l’actualité: Pour finir, la dynamique démocratique finira par recouvrir les événements et par résoudre les contradictions aperçues. Pour Pierre Statius, cette analyse providentialiste et structurelle de la démocratie a le tort de s’éloigner fortement des questions d’actualité. L’auteur de la contribution encourage au final le lecteur à prolonger la lecture de Gauchet par celle de Dewey, qui développe une conception dynamique et créatrice de la démocratie et donc de l’éducation démocratique, préconisant la formation d’individus adaptables dans un monde où règne l’incertitude. "La philosophie de John Dewey est une philosophie de l’interaction. Pour lui, le devenir des sociétés est radicalement ouvert et lié au contexte. L’éducation, c’est tirer du présent tout ce qui sert à la croissance", explique Paul Statius. Puisque la démocratie est une création continuée, il s’agit pour l’éducateur moderne, non d’ajuster celui qu’on éduque à des normes existantes et contraignantes, mais "de favoriser l’éclosion en lui de capacités qui le rendront apte à agir dans le monde qui sera le sien."
Pour aller plus loin: John Dewey, Démocratie et éducation. Armand Colin, 1990 et Reconstruction en philosophie, Publications de l’Université de Pau-éditions Léo Scherr, 1996.