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La réforme des rythmes scolaires a oublié l'école (une tribune de Claire Leconte)

Paru dans Scolaire, Périscolaire le jeudi 23 mars 2017.

Claire Leconte (professeur honoraire de psychologie de l’éducation, spécialiste des rythmes scolaires) nous adresse cette tribune que nous publions bien volontiers. Nous en avons toutefois modifié le titre. L'auteure proposait "Les politiques, des girouettes ? Un gâchis pour le mieux-apprendre de tous les enfants", ce qui nous semblait insuffisamment explicite.

"Côtoyant des politiques élus à des postes très divers, étant psychologue d’obédience expérimentale et cognitive, je me pose de nombreuses questions quant à leur fonctionnement cognitif. Certes leur rythme de vie les amène probablement à ne pas toujours respecter leur besoin de sommeil, ce doit être leur sommeil paradoxal qui en pâtit le plus, sommeil connu pour aider à imprimer en mémoire en long terme les informations indispensables à utiliser.

J’ai commencé à m’interroger quand le premier ministre de l’Éducation nationale de ce quinquennat m’avait promis, à Roubaix, devant le Recteur, le DASEN et le maire d’alors de la ville, qu’il me contacterait directement pour que nous ayons un rendez vous de travail afin que je lui donne à connaître les constats et observations de terrain que j’avais pu faire sur les nombreux territoires où j’étais déjà passée, relativement à la mise en œuvre de la réforme des rythmes scolaires. Inutile de préciser que ce rendez-vous, je ne l’ai jamais eu.

Je passe ici sur toutes les anecdotes dignes d’un roman que j’ai vécues avec ces politiques divers et variés, mais je veux ici revenir sur quelques points très particuliers, concernant cette fameuse réforme.

Dès la parution du décret du 23 janvier 2013 j’avais réagi à propos de la façon dont il avait été rédigé, à savoir rendre obligatoire ce qui était dérogatoire dans le décret Darcos de 2008, sachant que le même rédacteur était à l’origine des deux décrets.

En effet imposer que les 24 h hebdomadaires soient réparties sur 9 demi-journées m’est vite apparu comme une sottise peu à même de permettre à cette réforme de se mettre en place dans les meilleures conditions. Je m’en suis longuement expliquée dans une lettre ouverte (ici) adressée à ce premier ministre de l’éducation du quinquennat.

Dans divers textes publiés sur mon blog j’ai rappelé que je n’étais pas seule à m’interroger sur ce curieux découpage. J’ai alors participé à une action portée par Prisme (Promotion des initiatives sociales en milieux éducatifs) consistant à déposer des amendements avant le vote de la loi de refondation, afin qu’on revienne sur cette rédaction et que l’on parle de semaine de 5 jours (comme dans tous les textes précédant le décret Darcos) : ceci pour donner la liberté d’organiser intelligemment la journée de l’enfant sans avoir à s’imposer un émiettement des temps dû au découpage forcé en demi-journées.

Le rapport Tabarot

Intéressée, en tant que chercheur, par cette problématique depuis le début des années 80, j’ai suivi tous les écrits français (car cette problématique n’intéresse guère les autres pays) portant sur ce thème et susceptibles d’apporter des solutions envisageables. C’est ainsi que j’avais lu avec attention le rapport dit "Tabarot", paru sous Chatel le 8 décembre 2010 (ici), dans lequel j’avais retenu en particulier le paragraphe suivant :

"Faut-il aller plus loin en interdisant la semaine de quatre jours ? La portée politique et symbolique d’une telle décision serait importante. Elle manifesterait clairement la volonté des pouvoirs publics de placer l’intérêt de l’enfant au centre de la nouvelle organisation du temps scolaire en allant au-delà des intérêts acquis (...) Ceci étant posé, il resterait à déterminer si la semaine doit être organisée en quatre jours et demi ou cinq jours. La première option conduit à articuler la semaine autour de neuf demi-journées, dont une demi-journée de scolarisation le mercredi matin (...) On peut toutefois se demander si une organisation en demi-journées ne tendrait pas à rigidifier la gestion du temps scolaire, à la différence d’un système dans lequel les enseignements et les autres activités pourraient être répartis librement du lundi au vendredi, voire au samedi. Les avantages d’une semaine scolaire de cinq jours ne seraient pas négligeables en effet. Ils ont été particulièrement mis en évidence par les emplois du temps de l’école primaire 'à la journée' que la mission a visitée, le 28 mai dernier, à Berlin."

Les deux co-rapporteurs étaient les députés Xavier Breton et Yves Durand.

J’ai été invitée en 2010-2011 par la ville de Lomme, ayant pour maire Yves Durand, pour réfléchir avec eux à une expérimentation dans un groupe scolaire lommois souhaitant en finir avec la semaine de 4 jours. J’ai beaucoup travaillé avec les enseignants ainsi qu’avec les techniciens de la ville et l’élu en charge du projet. Après réflexions sur le meilleur aménagement de la semaine et des journées pour répondre aux besoins des enfants, nous avons construit une semaine sur 5 jours avec malheureusement le mercredi matin de classe (à cause du décret Darcos) qui se déroulait sur 7 demi-journées de classe, 5 matinées de 4 heures et 2 après-midi de 2 heures, et 2 autres après-midi de 2 heures consacrées à des parcours éducatifs organisés par la ville, ceux-ci impliquant divers clubs et associations de la commune. En effet, les enseignants ayant visité plusieurs lieux expérimentaux, ont été convaincus par celui de l’ARVEJ (Aménagement des rythmes de vie de l’enfant et du jeune) lillois, qui fonctionne ainsi depuis 1996.

L’année 2011-2012 a été consacrée à la réflexion avec les enseignants sur la gestion nouvelle des emplois du temps, à celle de la mairie pour la construction des parcours, à l’information pour les parents et au travail partenarial entre enseignants et animateurs pour que ces parcours ne se greffent pas comme un cheveu sur la soupe aux emplois du temps scolaire mais qu’ils aient du sens quant aux compétences à faire acquérir aux enfants pour leur permettre de percevoir une continuité éducative avec le projet d’école.

Ce projet s’est ainsi mis en place à la rentrée 2012, a bénéficié (contrairement à tout ce qui s’est fait dans l’urgence dès 2013) d’une évaluation avant-après, permettant de mettre en évidence les changements propres à sa mise en œuvre, tels qu’une satisfaction partagée des enfants, enseignants, parents, animateurs, un taux de présence aux parcours très important, des changements visibles dans les apprentissages selon tous les enseignants, des parents heureux de voir leurs enfants découvrir avec plaisir des activités vers lesquelles ils ne seraient jamais allés spontanément et auxquelles ils ont pris goût, ce qui n’a pu que satisfaire Yves Durand.

Des amendements non déposés

Au moment du dépôt des amendements précédemment évoqués, je lui ai demandé rendez-vous puisqu’il était rapporteur de la loi. Après moults atermoiements et reports de dates, nous nous rencontrâmes enfin à sa permanence lommoise : élu député, il avait abandonné son mandat de maire. Je lui ai rappelé cet épisode, lui ai fait remarquer que le décret mettait hors la loi cette expérience faisant ses preuves, il l’a reconnu et a alors dit qu’il attendait la deuxième lecture du projet de loi à l’assemblée pour insister sur l’importance d’accepter ces amendements. Je ne me permettrai aucune conclusion sans preuve, mais comme une autre députée avec qui j’ai eu un débat télévisé à Lille m’a affirmé qu’il n’y avait jamais eu la moindre discussion à propos de ces amendements dans le groupe PS, que de fait ces amendements ne sont pas passés, je m’estime en droit de m’interroger sur la volonté réelle de faire en sorte qu’ils soient votés.

Bientôt quatre ans après, tout le monde constate que cette réforme continue d’interroger, moi-même suis encore très sollicitée par des communes qui souhaitent réviser l’organisation mise en place en 2013 (ou même en 2014), sachant qu’on en a totalement oublié les ambitions de départ. C’est-à-dire ? F. Hollande, (9/10/2012), "ce n’est pas la clef de tout, mais le premier levier de la réussite" ! V. Peillon (23/01/2013), "Nous abordons, avec la réforme des rythmes, une phase importante de la refondation de l'École de la République. Elle influera sur l'organisation du travail des enseignants et leur manière même de travailler". Annexe du projet de loi, "La réforme des rythmes doit agir comme un levier pour faire évoluer le fonctionnement de l’école autour d’un projet éducatif territorial". J.M. Ayrault, (22/08/2013), "nous avons décidé de retrouver des rythmes scolaires mieux adaptés à l’objectif de réussite de tous. Au-delà de la question des rythmes, les projets éducatifs territoriaux à venir doivent être une occasion de redéfinir la façon dont l’école, les parents, les collectivités, les associations, ensemble, prennent en charge la réussite de tous" !

N. Vallaud-Belkacem, (15/12/2015), "Dans le cadre des nouveaux rythmes éducatifs, les parents délégués sont associés à l’élaboration et au suivi des projets éducatifs territoriaux. Plusieurs rapports récents ont mis en évidence la nécessité de renforcer ce dialogue avec les familles concernant l’articulation des temps scolaires et périscolaires".

En 2017, où en est-on ? Les projets, juste conditionnels pour obtenir les fonds de la CAF, se résument le plus souvent à un listing des professionnels et bénévoles engagés par les collectivités suivi par un catalogue d’activités. Beaucoup de parents rencontrés ont découvert, grâce à ma conférence, que leur commune avait signé un PEdT ! L’école a-t-elle changé comme attendu par le ministre ?

Le rapport de l’IGEN (ici) paru en juin 2016 montre que "la réorganisation des enseignements semble avoir surtout bénéficié au français et aux mathématiques, qui étaient déjà favorisés dans les répartitions horaires et qui se repositionnent majoritairement sur les cinq matinées." "Les sciences, les arts et surtout l’éducation physique et sportive apparaissent, un peu plus encore qu’auparavant, en danger." Malgré ce bénéfice pour les maths, "les résultats de TIMSS sont sans appel : en fin de CM1, les jeunes français ont un niveau nettement inférieur à la moyenne des 49 pays participant à l’enquête internationale TIMSS évaluant les compétences en maths et en sciences. En Europe la France se retrouve tout à fait en bas du tableau, 22ème sur 22." (ici) !

Le périscolaire plutôt que le scolaire

Tous les autres rapports ne s’intéressent qu’à la qualité des activités périscolaires, celui que la ministre actuelle a pris en exemple pour prétendre que tout va bien met en évidence une grande fatigue des enfants (ici).

Et que lis-je dans le rapport du comité de suivi de la refondation de l’école paru le 22 février dernier et présenté par Yves Durand ? Une forme de consensus existe sur la mise en oeuvre de la loi, "les acteurs se sont mobilisés et s’en sont approprié la cohérence". Mais quand des députés font valoir les difficultés liées à la réforme des rythmes, Yves Durand ose répondre qu’elle ne figure pas dans la loi et donc pas dans le rapport du comité de suivi !

M. Durand, avec tout le respect que je vous dois, dans la loi du 8 juillet 2013, on lit : "Avec les projets éducatifs territoriaux (PEDT), la loi met la concertation locale au cœur de la question éducative ; c’est dans ce cadre que pourront être élaborés des projets prenant en compte la globalité des temps de l’enfant (scolaire, périscolaire, extrascolaire), notamment dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires au primaire.". Bien sûr que cette réforme est un pilier (voulu) de la loi de refondation !

Et pour finir, dans les propositions de Benoît Hamon, relativement à la poursuite de cette réforme, que lit-on ? (ici)

Sur les rythmes scolaires, Benoît Hamon tente de se démarquer d' Emmanuel Macron et de François Fillon qui veulent laisser la liberté aux communes de revenir sur la réforme, ou encore de Marine Le Pen qui veut revenir sur la réforme. L'ex-ministre de l'Education entend, au contraire, accroître de 25 % (sur cinq ans) le fonds d'aide aux communes, d'un montant actuel de 400 millions d'euros. La hausse irait d'abord aux communes les plus pauvres !

Décidément, tous ont oublié les ambitions de départ, et cette réforme, premier levier de la réussite, est devenue celle du périscolaire ! Qui en souffre ? Toujours les mêmes enfants qui avaient tant besoin d’une réelle évolution de l’école !

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