Najat Vallaud-Belkacem : une vie de combat contre les frontières intérieures (livre)
Paru dans Scolaire, Périscolaire le dimanche 26 février 2017.
"Qu'il est bon d'avoir de la mémoire dans ce ministère [de l'Education nationale]. Qu'il me fut précieux de revenir sans cesse à mes révoltes d'enfance et de jeunesse contre la fatalité (...) car il est des jeunes pour lesquels tout est un Everest à gravir par le nord." Najat Vallaud-Belkacem le dit dans un livre très personnel, en librairie ces jours-ci, alors qu'elle aurait préféré être une femme politique "presque sans histoire personnelle", et qu'elle se l'était juré : "je garderais pour moi ce qui n'appartient qu'à moi", mais elle "ne (s)'appartient plus tout à fait" et elle publie un livre qui n'est ni un discours, ni un essai, ni un bilan ou un programme, mais "un récit, une conversation", qu'on devine écrite au moins pour partie au fil d'une plume très personnelle, où se mêlent ses souvenirs dans le petit village de Beni Chiker, au Maroc, et l'évocation de sa vie d'aujourd'hui, avec sa frustration de n'avoir pas davantage de temps pour lire à ses deux enfants les albums de Claude Ponti ou de Tomi Ungerer... Elle y parle aussi de sa scolarité, de sciences po, de son arrivée à Paris, de son engagement en politique.
Tout un pan de ce récit-conversation est consacré au lien entre son histoire personnelle et son action de ministre en charge de l'Education nationale. Elle raconte son arrivée en France alors qu'elle est encore une petite fille: "Assez vite, on s'est installés à Amiens, dans les quartiers Nord. C'est devenu mon pays, mon horizon. Avec une frontière invisible (...) Le centre-ville d'Amiens était un autre monde. Inaccessible (...) L'égalité des chances, ce n'est pas que l'éducation, le milieu familial, l'accès aux différents savoirs, la liberté pour les femmes et les jeunes filles. C'est aussi effacer les frontières invisibles, qu'on sent avec ses mots, avec ses vêtements, avec son corps. Le jour où je ne vois plus la frontière, j'ai accès à la France universelle."
Le concours général et l'enseignement professionnel
Petit à petit, la jeune Najat repousse la frontière, mais peut-être est-elle toujours là... et ce combat personnel donne le sens de son action rue de Grenelle, avec notamment deux axes qui sont rarement pris en compte par les commentateurs. C'est d'abord une profonde sympathie pour "ces jeunes gens qui ont réussi à s'élever bien plus haut que ce que le déterminisme social leur promettait (...) Pas une journée sans que je vibre devant l'impressionnante inventivité, mais surtout l'incroyable sens des solidarités de nos jeunes générations (...) leurs réalisations défilent, qui parlent d'elles-mêmes : application pour détecter les accidents de moto et prévenir les secours, outil pour partager des plats faits maison entre particuliers, canne pour déficients visuels (...)". Elle renouvelle cet exercice d'admiration lorsqu'elle remet les prix du Concours général à des jeunes qu'anime "la passion de faire", "prix de philosophie, d'anglais, de mathématiques ou de matières moins traditionnelles, comme l'apprentissage du métier de maître d'hôtel, la réparation de véhicules agricoles, la maîtrise des métiers du verre...."
Car la promotion de l'enseignement professionnel est un autre des moteurs de son action, d'autant que "chacun se plaît à en réclamer la revalorisation... pour s'en désintéresser aussitôt après". Elle liste les réformes entreprises : "Je ne me souviens pas qu'aucune des nouveautés cruciales, pour lesquelles je me suis battue ces dernières années, ait réussi à passer le mur du son (...) et quasiment pas une ligne, pas un mot pour commenter tout cela, quand une virgule qui change dans un programme de terminale scientifique déchaîne les passions que l'on sait contre ces 'assassins de l'école' qui haïssent l'excellence... d'avant la virgule."
Le livre est aussi, bien évidemment, un plaidoyer pro domo, la présentation d'un bilan mais surtout, à la veille d'échéances électorales qui peuvent modifier le paysage, un appel à "tous les responsables politiques attachés à la Républque, quel que soit leur bord", pour que l'action qu'elle a entreprise contre les frontières qui séparent les enfants, fasse l'objet d'un discours commun, comme "certains sont capables de le faire, loin des caméras et des postures, lorsqu'il s'agit de travailler localement, main dans la main, à reconstituer de la mixité sociale dans tel collège ségrégué ou à lutter ensemble, vaillamment, contre le décrochage scolaire."
"La vie a plus d'imagination que toi", Najat Vallaud-Belkacem, Grasset, 167 p., 17 €