Archives » Recherches et publications

ToutEduc met à la disposition de tous les internautes certains articles récents, les tribunes, et tous les articles publiés depuis plus d'un an...

Suisse : comment se transforment les savoirs scolaires ?

Paru dans Scolaire, Orientation le mardi 07 février 2017.

L’étude "Transformation du savoir scolaire en Suisse depuis 1830" analyse sur le temps long l’évolution des contenus enseignés dans le système éducatif de ce pays. Rita Hofstetter et Bernard Schneuwly, chercheurs à l’université de Genève qui ont participé à ce projet, répondent aux questions de ToutEduc.  

ToutEduc : Comment ont évolué au fil du temps les disciplines dans le système scolaire suisse ?

Rita Hofstetter et Bernard Schneuwly : Le 19e siècle voit la construction progressive d’un système scolaire, placé de plus en plus sous l’égide de l’Etat, qui d’une certaine manière devient "Etat-enseignant". En Suisse, autour de 1850-70 selon les cantons, l’instruction obligatoire est introduite, avec la gratuité d’accès à l’école pour tous. De fait, une nouvelle forme scolaire s’établit. Parmi ses caractéristiques principales, elle organise les savoirs en disciplines à tous les niveaux du système.

À partir de cette période, un canon de disciplines est défini qui, depuis, n’a que marginalement varié. Les appellations des disciplines ont changé, mais on retrouve grosso modo les mêmes jusqu’à aujourd’hui. Certes, de nouvelles matières apparaissent temporairement, mais disparaissent en général assez rapidement. La plupart du temps, elles sont absorbées dans d’autres. On peut prendre comme exemple ce qu’on appelait jadis "l’histoire naturelle" qui a été intégrée dans plusieurs disciplines, plus particulièrement les sciences de la nature et la géographie (pour l’astronomie, la géologie et la minéralogie notamment). L’informatique, autre exemple beaucoup discuté actuellement, est devenu outil dans quasiment toutes les matières ; certains aspects sont traités en mathématiques.

L’éducation civique était une discipline indépendante à certaines époques, notamment dans le canton italophone du Tessin, mais aussi dans certains cantons francophones ; elle est aujourd’hui intégrée dans l’enseignement de l’histoire. Sur ce point, jusqu’à la fin des années 1960, c’est une approche normative de l’histoire qui dominait mais par la suite, a émergé un enseignement critique et réfléchi visant à forger une émancipation politique et une participation à la vie citoyenne. Ainsi, ce n’est pas tant les disciplines qui apparaissent et disparaissent que le rapport entre elles.

ToutEduc : Cette continuité globale est-elle valable pour l’ensemble des disciplines ?

Rita Hofstetter et Bernard Schneuwly : Pour l’école primaire il y a deux exceptions. D’une part, l’enseignement de la religion peut disparaître dans certains cantons, surtout protestants. D’autre part, l’enseignement des langues étrangère entre à l’école primaire à partir des années 1980 environ : l’allemand ou le français, langues nationales d’abord, l’anglais ensuite. Cette discipline se révèle stable, mais elle n’est pas nouvelle dans le système : elle apparaît déjà à la fin du 19e siècle au niveau du secondaire supérieur (lycée notamment), puis descend les échelons scolaires. On ne peut donc pas parler d’une création d’une discipline, mais d’un déplacement à l’intérieur du système. L’utilité économique a pendant longtemps été le principal argument avancé pour l’introduction d’une langue étrangère ou nationale – l’argument de la cohésion nationale est venu bien plus tard. 

ToutEduc : Qui prend l’initiative de ces évolutions ?

Rita Hofstetter et Bernard Schneuwly : Les décisions relèvent d’un ensemble d’acteurs en forte interaction : les représentants des enseignants, les administrations (y compris inspecteurs, directeurs d’école), les politiques, sans oublier l’opinion des parents. Dans les années 1970, l’influence des experts, issus principalement du monde des sciences, a pris de l’importance. Les ajustements des différentes visions se fait à travers des négociations, consultations, prises de décisions à divers niveaux. Les textes prescriptifs ne passent cependant pas devant des instances politiques représentatives comme le Parlement. Ce sont les exécutifs qui en dernière instance prennent la décision, après de longues discussions à divers échelons.   

ToutEduc : Et à l’intérieur des disciplines, comment se transforment les contenus d’enseignement ?

Rita Hofstetter et Bernard Schneuwly : Sur ce plan, on constate des changements considérables. Très grossièrement, en observant les plans d’études, les manuels, les débats dans les revues pédagogiques, les cahiers des élèves, on peut distinguer trois grandes périodes. La première correspond à l’établissement des disciplines scolaires dans la deuxième moitié du 19e siècle. Cette organisation disciplinaire définit les grands domaines dans lesquels les élèves doivent acquérir des savoirs. Ces derniers sont encore peu stabilisés.

Leur redéfinition continuelle se fait jusque dans les années 20 qui connaissent alors l’influence forte de l’éducation nouvelle. Ce phénomène aboutit d’une part à une stabilisation des contenus, mieux articulés aux capacités et besoins des enfants, d’autre part à l’invention de méthodes d’enseignement qui donne une place plus grande à l’activité des élèves.

Autour des années 1960-70-80, avec des décalages en fonction des disciplines, on remarque une redéfinition plus profonde des contenus et ce dans l’ensemble des disciplines. Par exemple, le "chant" devient "musique", la "gymnastique" devient "éducation physique"…

ToutEduc : Les évolutions des savoirs scolaires en Suisse se retrouvent-elles dans d'autres pays ?  

Rita Hofstetter et Bernard Schneuwly : Ces tendances concernent les trois régions linguistiques principales de la Suisse (germanophone, francophone, italophone), avec des décalages temporels. On les observe également au niveau international. Mais à l’intérieur de ces grands axes communs, des différences non négligeables apparaissent. Ainsi, l’apprentissage de la lecture du côté francophone et germanophone n’est pas tout à fait le même. L’enseignement de la grammaire ne se réfère pas aux mêmes sciences du langage. Celui de l’histoire varie, jusque dans les années 1960, en fonction de la religion, catholique ou protestante. Enfin, l’apprentissage des langues étrangères n’a pas exactement les mêmes fonctions dans un pays officiellement plurilingue comme la Suisse, qu’en Allemagne, en France ou en Italie.

Propos recueilis par Diane Galbaud

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →