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Les lois mémorielles peuvent-elles influer sur les programmes scolaires ? (une analyse d'A. Legrand)

Paru dans Scolaire le mercredi 18 janvier 2017.

Les lois mémorielles influent-elles sur les programmes scolaires ? La question est posée après une demande d'annulation des programmes qui font référence au génocide arménien. Il est en effet des gens que la vérité historique ou scientifique dérange ; et qui essaient par tous les moyens d’en éviter l’affirmation. Les tentatives pour expurger les programmes scolaires se multiplient de la part de groupes de pression qui refusent l’introduction de certains thèmes d’enseignement. Nous sommes certes exempts des querelles qui font florès dans certains pays étrangers et, en particulier aux Etats-Unis, autour de la théorie de l’évolution. Même si on signale, de ci de là des incidents, tout á fait inédits, provoqués par des créationnistes, cette situation garde un caractère mineur. Mais c’est autour des lois "mémorielles" et de l’enseignement de l’histoire que les difficultés s’amoncellent en France.

Ces lois sont pour l’essentiel au nombre de quatre : la plus ancienne est la loi Gayssot du 13 juillet 1990 qui réprime la contestation de la Shoah et, plus généralement, des crimes de guerre commis par les hitlériens pendant la Seconde guerre mondiale. Elle est la seule à avoir bénéficié d’un brevet de constitutionnalité qui lui a été décerné par le Conseil constitutionnel par une décision du 3 janvier 2016.

Des crimes contre l'humanité sanctionnés par une juridiction française ou internationale

Saisi d’une QPC par un partisan du révisionnisme, le Conseil a, en particulier, estimé que "les propos contestant l'existence de faits commis durant la seconde guerre mondiale qualifiés de crimes contre l'humanité et sanctionnés comme tels par une juridiction française ou internationale constituent en eux-mêmes une incitation au racisme et à l'antisémitisme ; que, par suite, les dispositions contestées ont pour objet de réprimer un abus de l'exercice de la liberté d'expression et de communication qui porte atteinte à l'ordre public et aux droits des tiers". Il a ajouté que "les dispositions contestées, en incriminant exclusivement la contestation de l'existence de faits commis durant la seconde guerre mondiale, qualifiés de crimes contre l'humanité et sanctionnés comme tels par une juridiction française ou internationale, visent à lutter contre certaines manifestations particulièrement graves d'antisémitisme et de haine raciale ; que seule la négation, implicite ou explicite, ou la minoration outrancière de ces crimes est prohibée ; que les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet d'interdire les débats historiques ; qu'ainsi, l'atteinte à l'exercice de la liberté d'expression qui en résulte est nécessaire, adaptée et proportionnée à l'objectif poursuivi par le législateur." 

La loi Taubira du 21 mai 2001 a soulevé plus de difficultés : elle tend à reconnaître la traite et l’esclavage comme des crimes contre l’humanité. Et, originalité par rapport à la précédente, elle comporte des recommandations à l’égard du monde scolaire et universitaire, en souhaitant que "les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accordent à la traite négrière et à l’esclavage la place qu’ils méritent". Par rapport à la loi précédente, elle vise des situations où les faits historiques ne sont pas niés, mais où c’est leur qualification qui est en discussion. Les suites de cette loi ont d’ailleurs soulevé quelques polémiques, dans la mesure où certains de ses partisans ont parfois donné l’impression de contester la légitimité du débat scientifique et où certains chercheurs ont exprimé des craintes pour leur indépendance.

Le "rôle positif" de la colonisation

C’est avec la loi du 23 février 2005, qui visait à glorifier le "rôle positif" de la colonisation française. que les polémiques ont été les plus lourdes, Le premier alinéa de cette loi demandait que "les programmes de recherche universitaire accordent à l'histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu'elle mérite"; le second, que "les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit".

Les protestations contre l’introduction d’une "histoire officielle" ont été nombreuses et ont même conduit certains historiens ou philosophes de renom à réclamer l’abrogation de toutes les lois mémorielles. Rappelant que "l’historien n’accepte aucun dogme, ne respecte aucun interdit, ne connaît pas de tabous", ils s’insurgeaient contre la tendance à imposer à l’historien, "sous peine de sanctions, ce qu’il doit chercher et ce qu’il doit trouver". Sans aller jusque là, le Président de la République a décidé l’abrogation de l’alinéa 2 de l’article 4 par un décret du 15 février 2006, faisant ainsi disparaître toute référence aux programmes scolaires.

Une loi qui ne comporte qu'une seule phrase

Face à cette situation, la quatrième loi mémorielle, celle du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien, brille par son laconisme et sa concision : un seul article tenant en une seule phrase : "La France reconnaît le génocide arménien." Elle se retrouve pourtant depuis deux ans au centre d’un contentieux engagé par une "association pour la neutralité de l’histoire turque". En 2015, celle-ci avait demandé l’annulation des programmes de 2008, pour les quatre niveaux du collège en histoire-géographie-éducation civique. Elle est revenue à la charge en 2016 en demandant l’annulation de l’arrêté de l’arrêté de 2015 définissant les programmes de l’enseignement primaire. Dans les deux cas, le recours se fondait sur le fait que ces textes faisaient référence à l’enseignement du génocide arménien.

Derrière cette contestation des programmes scolaires, l’objectif de l’association était plus large. Elle demandait que soit transmise au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité sur la conformité de la loi de 2001 avec les droits et libertés que la Constitution garantit. C’était donc en fait la loi qu’elle contestait et elle ne visait les programmes que par ricochet.

Pas de portée normative

Le Conseil d’Etat a rejeté les deux recours en utilisant les mêmes formules, dans deux décisions du 19 octobre 2015 et du 13 janvier 2017. D’une part, il rappelle qu’une disposition législative qui a pour objet de "reconnaître" un crime de génocide n’a pas de portée normative et n’est donc pas "applicable" à un litige. Comme cette applicabilité constitue une condition de la saisine du Conseil constitutionnel, il n’y a pas lieu de lui renvoyer la QPC soulevée et le moyen selon lequel les dispositions de la loi portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

Au terme de cette analyse, on constate qu’il y a deux catégories de dispositions mémorielles. Celles de la loi Taubira ou de la loi sur la reconnaissance du génocide arménien qui concernent les programmes scolaires, comme le défunt deuxième alinéa de la loi sur la colonisation, souhaitent une action positive de l’Etat. Ces textes sont directement visés par les principes posés par les présents arrêts : dépourvus de caractère normatif en raison de leur caractère purement déclaratif, ils ne sont pas susceptibles de créer des obligations juridiques. La loi Gayssot reste au contraire une loi de police de type plus classique, édictant à l’égard des administrés des interdictions qu’elle assortit de sanctions pénales : elle a, à ce titre, une véritable portée normative.

André Legrand

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