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Lycées professionnels : de remarquables pratiques pédagogiques mal reconnues (IGEN)

Paru dans Scolaire, Orientation le jeudi 05 janvier 2017.

"L’enseignement professionnel (...) a élaboré des manières d’enseigner qui lui sont propres. Confronté plus que d’autres encore à la difficulté scolaire, il a dû aussi proposer une pédagogie susceptible de répondre aux besoins des élèves". Bien des pratiques pédagogiques qu'il a mis en œuvre pourraient "inspirer à bon escient l’ensemble des enseignants" dont la formation gagnerait "à reconnaître davantage les compétences et les acquis des acteurs de l’enseignement professionnel". C'est peu dire que le rapport de l'inspection générale (IGEN) sur "les bonnes pratiques pédagogiques" dans ces lycées est positif. Pourtant, il dessine, le plus souvent en creux, les limites auxquelles se heurte cette voie de formation.

Confrontés à l'impossibilité de donner une définition a priori des "bonnes pratiques", les inspecteurs fondent leur analyse sur celles qu'ils ont pu observer et trouver intéressantes dans un grand nombre de domaines, de la classe inversée à la poésie, de la fréquentation du CDI à la connaissance de la rhétorique judiciaire ou à l'ouverture à l'international, de l'atelier aux partenariats "pour améliorer l'image des métiers de la propreté".

Une rupture pédagogique

La mission constate que ces établissements doivent "souvent dans un premier temps" réconcilier avec les apprentissages des élèves qui ont eu un parcours scolaire "parfois douloureux" et qui se retrouvent "dans une filière de formation qui ne fut pas toujours choisie"; elle donne l'exemple d'un lycée qui, pour favoriser "une rupture pédagogique" propose à tous, dès le début de l'année, deux micro-projets : "La généralisation de la pédagogie de projet, considérée comme un marqueur fort de l’établissement, permet d’éviter qu’elle soit réservée aux élèves affectés dans une classe portée par une équipe particulièrement dynamique."

Dans un autre lycée, une classe est signalée comme particulièrement difficile : "harcèlement entre élèves, tensions et chahuts, risques de décrochage." Les professeurs de français et de STMS (médico-social) font écrire aux élèves des romans dont ils sont les héros, et qui les amènent à revenir sur les périodes de stages. "Les tensions des premiers jours avaient été surmontées quand les élèves avaient découvert un autre enseignement et bénéficié de la rupture pédagogique de la seconde qui balayait leur opposition à l’école."

 Des "vers en fer"

Dans une classe de terminale CAP chaudronnerie, un professeur de français a conduit un projet poésie, à partir de Mille milliards de poèmes de Queneau, mais aussi en demandant aux élèves de choisir dans des recueils de poèmes des vers qu'ils aimaient. A l'atelier, les élèves ont réalisé des "vers en fer", et composé "lettre par lettre des panneaux de grand format, qui ont été exposés dans le lycée". Ailleurs encore, un binôme professeur de cuisine / professeur de langue a travaillé sur l’ouverture à l’international : "les bénéfices pour les élèves sont notables : ces derniers se déclarent convaincus de leur mérite scolaire et de leurs capacités. Leurs résultats aux examens (...) sont très bons. Les freins à la mobilité professionnelle sont levés. Les horizons qui se sont ouverts ne sont pas uniquement géographiques : la mission a été particulièrement impressionnée par le caractère ambitieux des projets personnels et professionnels que les élèves de la section européenne ont exposés en faisant preuve d’une maturité et d’un enthousiasme remarquables."

L'IGEN souligne toutefois les limites des "bonnes pratiques". C'est d'abord l'isolement de certains enseignants. Elle évoque une initiative certes intéressante, mais qui est "portée par un seul professeur et n’est pas formalisée : elle risque donc fort de disparaître si celui-ci l’abandonne ou quitte l’établissement". De plus, "en dépit de son intérêt, la diffusion de cette pratique au sein du lycée est quasi inexistante".

Une ignorance réciproque entre enseignements généraux et enseignements professionnels

Se pose aussi la question des liens entre enseignements généraux et enseignements professionnels. "Loin d’une complémentarité heureuse, c’est trop souvent sous la forme d’une ignorance réciproque ou d’une rivalité plus ou moins avouée que les deux domaines s’envisagent, les enseignements professionnels déplorant dans les projets qu’ils portent les résistances et l’isolement de disciplines générales, qui craignent de leur côté l’instrumentalisation de leurs contenus spécifiques et de leurs ambitions culturelles." Le rapport cite en exemple un lycée "où beaucoup d’élèves sont présents par défaut au sein de la filière GA" (gestion administration): "L’ancrage des projets pédagogiques mis en oeuvre par les équipes a un impact sur l’absentéisme et sur l’accrochage, malgré une distorsion notable entre le climat des enseignements professionnels ainsi organisés et celui des enseignements généraux." La direction du lycée constate "des contrastes énormes en conseil de classe entre les notes et appréciations délivrées par les professeurs relevant de l’enseignement général et ceux relevant de enseignement professionnel".

Se pose aussi la question de la formation des enseignants qui pourrait "favoriser l’interdisciplinarité, et avec elle l’appréhension immédiate des liens qui unissent les disciplines pour former ensemble les moyens d’accéder à la complexité du monde (...) La fragilité scientifique, liée à la fois au manque de formation bivalente et aux difficultés de recrutement dans certaines disciplines, forme le premier obstacle, tant il faut de maîtrise scientifique et didactique pour élaborer puis réaliser les bonnes pratiques ici analysées", conclut l'IGEN qui recommande de proposer aux enseignants, "dès les premières années universitaires, des cursus bivalents". Elle préconise également de "poursuivre, dans toutes les académies, les initiatives de formation et de mutualisation déjà réalisées, pour favoriser les pratiques interdisciplinaires", tout en mettant en garde, il ne faut pas que les moyens alloués au lien entre enseignement généraux et spécialité "ne soient détournés de leur destination règlementaire".

La modestie des enseignants les plus remarquables

Mais surtout, elle considère que "les grandes qualités des pratiques pédagogiques observées méritent que l’enseignement professionnel soit reconnu pour la part d’expertise pédagogique dont il peut faire bénéficier l’ensemble du système éducatif". Il faudrait que, dans les plans de formation continue, soient prévus "des moments de formation et de partage équitable des expériences et des pratiques" entre acteurs du collège et des voies générale, technologique et professionnelle". L'IGEN souligne aussi que "les plus remarquables professeurs" qu'elle a rencontrés "lui ont présenté leurs travaux avec une excessive modestie". Elle fustige "les enseignants les moins inventifs" qui revendiquent leur liberté pédagogique "pour refuser une modification de leurs habitudes professionnelles", alors que ceux qui mettent en œuvre de bonnes pratiques "semblent avoir toujours à se justifier à leurs propres yeux" et face à leurs collègues "dubitatifs, voire hostiles". Il apparaît dès lors "essentiel que l’institution reconnaisse la démarche de ces enseignants (...) L’accompagnement par les experts que sont les inspecteurs est indispensable."

Le rapport, "Le recensement des bonnes pratiques pédagogiques dans l'enseignement professionnel", est téléchargeable ici

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