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Réforme des collèges : des points de vue d'acteurs de terrain avant un premier bilan

Paru dans Scolaire le samedi 05 novembre 2016.

Deux mois après la rentrée et la mise en oeuvre de la réforme du collège, controversée, il est trop tôt pour un premier bilan. ToutEduc a choisi de donner la parole à des acteurs de terrain, quatre principaux, une principale-adjointe, une enseignante d'histoire-géographie-EMC, un CPE, une représentante de parents d’élèves (PEEP). Certains ont des responsabilités syndicales (SNPDEN), et plusieurs sont membres de l’association "Éducation & Devenir" (favorable à la réforme). Cet échantillon n'est donc pas représentatif de l'ensemble des acteurs de terrain. Il l'est en revanche en termes géographiques puisqu'ils exercent dans le Nord (à Lille), dans le Rhône (à Lyon et Villeurbanne), dans l’Ain (àPrévessin-Moëns), dans la Loire (àChazelles-sur-Lyon), dans le Vaucluse (à Avignon), avec des centres villes, des territoires périphériques ou ruraux, avec des populations défavorisées, favorisées ou intermédiaires. Certains nous ayant demandé l'anonymat, ils sont ici désignés par leur prénom et leur fonction. Ils ont répondu par écrit à cinq questions. Les textes n'ont pas été remaniés.

Nous invitons tous nos abonnés à répondre aux mêmes questions, et à les soumettre aux "acteurs de terrain" qu'ils connaissent, et à nous transmettre les textes ainsi obtenus, nous les publierons.

ToutEduc : Plus d’un mois après la rentrée, qu’est-ce qui vous semble particulièrement réussi dans la mise en œuvre de la réforme des collèges au sein de votre collège ?

Séverine (principale-adjointe) : Les EPI (enseignement pratiques interdisciplinaires, ndlr): Les profs se sont bien emparé de cela pour réfléchir à des projets transdisciplinaires. La réflexion engagée sur l'évaluation par compétences.

Marie-Paule (principale) : Je ne sais pas si c'est "particulièrement" réussi, mais ce qui me semble intéressant c'est que des équipes  travaillent concrètement ensemble, même si c'est inégal d'une équipe à l'autre. Pourquoi ? Non pas parce que le Saint-Esprit de la Réforme leur est tombé dessus cet été, mais parce que nous avons (et les équipes ont été associées à cette démarche/décision) construit l'AP (accompagnement personnalisé, ndlr) et les EPI en veillant à impliquer toutes les disciplines (…) et en instaurant du co-enseignement. Cette organisation est affichée dans les emplois du temps : cette "matérialisation" me parait importante car dans le champ professionnel je crois important d'éviter l'implicite et l'aléatoire.... Nous avons bâti des équipes de classe et des équipes AP et d’EPI de sorte à faire travailler tout le monde avec tout le monde et même des personnes qui ne le faisaient pas avant, par manque "d'affinités". C'est une antienne connue, et acceptée, dans notre milieu professionnel mais on n'est pas dans le secteur des loisirs, du bénévolat et de l'associatif ! Du coup, certains professeurs se découvrent et, pour beaucoup, c'est une bonne surprise ! (…) Nous allons organiser (mi-novembre) un conseil pédagogique où chaque équipe présentera aux autres l'état actuel de la mise en œuvre des dispositifs dans lesquels elle est impliquée, les difficultés rencontrées, les questions en suspens, les pistes de progrès envisagées... Bref, ce qui me semble réussi, c'est le mouvement que la réforme a initié et la réflexion "en actions" (et non hors sol) qui se met en place.

Christine (représentante académique de parent, professeure d’aide scolaire à domicile) : "Cette mise en place est vraiment variable d'un collège à l'autre. Les AP existaient déjà souvent et se sont donc poursuivies. La relative plus grande liberté horaire des EPE semble positive... Mais les horaires, en interne par matière, ne sont pas assez refondus en général à mon goût. Je pense que des horaires d'une heure trente de cours par rapport à une heure feraient gagner, au final, davantage de temps disponible à toutes les équipes pédagogiques (…)"

Bruno (principal) : Au sein de mon collège, ce qui semble bien débuter, c'est le travail en équipe pour la mise en œuvre des EPI. Certes, il n'y a pas participation massive de tout le monde, mais il y a un courant de fond qui entraine quelques collègues traditionnellement peu enclins à ce type de démarche collective et interdisciplinaire. La culture "REP" de notre collège, avec la mise en place de projets, une culture de travail en équipe, facilite les choses.

Gérard (principal, représentant académique de personnels de direction) : Une vraie réflexion s'est engagée sur les modalités de fonctionnement de l'accompagnement personnalisé, et en lien avec celles-ci, comment évaluer correctement et justement les élèves ? La question de la marge de manœuvre garantie dans la DHG est aussi un levier extrêmement important, dont les équipes ont compris l'intérêt !

Isabelle (principale, représentante académique de personnels de direction) : L'évaluation par compétences, et donc l'obligation de travailler par compétences avec les élèves, est une véritable révolution pour certains enseignants, y compris pour ceux qui étaient déjà des pionniers dans les méthodes d'apprentissage. L'AP et les EPI ne sont que des moyens supplémentaires de travailler ainsi et d'introduire de la différenciation. On voit les salles de classe se transformer : tables et chaises sont regroupées en îlots. Des élèves considérés comme difficiles à gérer deviennent beaucoup plus coopératifs car invités à être davantage acteurs et à relever des défis. Parmi eux : des élèves précoces qui s'ennuyaient, comme des élèves dégoutés de l'école pour une raison ou une autre. Les élèves brillants ne sont pas en reste car on leur propose d'aller plus loin. Nous avons décidé en conseil pédagogique de ne plus donner aux parents de relevés de notes. Les bulletins trimestriels seront des bulletins de compétences (…).

Anne-Marie (professeure d’HGEMC) : Un gain au niveau de la circulation des informations, plus de transparence, une nécessité à communiquer dans ces relations d'interdépendance, acceptation de la nécessité du " faire ensemble". Si le niveau d’inquiétude reste élevé, le travail se fait (réunion de concertation, stage de formation / Évaluation/ Travail collaboratif etc..).

ToutEduc : Et inversement, qu’est-ce qui vous semble le plus difficile à mettre en œuvre ?

Séverine : Les AP : difficile de sortir de la remédiation. Difficile d'identifier précisément les besoins des élèves par une évaluation fine en début de chaque niveau pour proposer une AP adaptée (remédiation, approfondissement, travail sur le projet personnel), comment constituer les groupes de besoins (réflexion à mener en équipe). Mettre en œuvre des "vrais" parcours citoyens, avenir, PAEC et santé  (actuellement les parcours se résument à des actions menées déjà précédemment sans avoir vraiment la notion de parcours).

Marie-Paule : L’évaluation,  le livret unique...

Christine : Les EPI car il faut des volontaires impliqués dans ce progrès et qui ont une synergie de travail (..). La communication interne et externe.

Bruno : La réflexion sur l'évaluation parait plus difficile, pour le moment, pour déboucher sur une modification collégiale des pratiques. Il y a, individuellement, des expériences ponctuelles par professeur, mais c’est difficile de dégager un consensus. Quelques enseignants, minoritaires, aimeraient franchir le cap d'une évaluation sans note. Difficulté, mais pas impossibilité, à accepter des pratiques différentes dans une équipe, tout en gardant de la compréhension et du sens pour les élèves et les familles.

Gérard : La mise en place des EPI est plus compliquée, car difficile à formaliser. Et l'arrivée tardive du LSU nous met tous dans une sorte d'embarras... Enfin, la mutualisation de l'enseignement scientifique en 6ème ne fonctionne pas du tout.

Isabelle : Ce qui est difficile à mettre en œuvre, c'est tout simplement le changement. Et puis cela donne beaucoup de travail.

Anne-Marie : La corrélation Parcours / Programme / Métacognition / Socle avec une très grande crainte de ne pas répondre aux exigences programmatiques qui apparaissent encore aujourd’hui comme la base de l'évaluation des enseignants ; le peu de temps pour se rencontrer, préparer du fait de la multiplicité des axes de travail et des niveaux impliqués.

ToutEduc: Sur une échelle de 1 à 10, quel vous semble être le niveau d’adhésion des personnels enseignants et d’éducation ? 

Séverine : 8

Marie-Paule : Il me semble qu'il y a adhésion sur les objectifs visés pour la majorité des collègues (6 ou 7 sur une échelle de 10) mais l'ampleur de la tâche effraie un peu tout le monde, notamment ceux qui sont très impliqués et exigeants. Plusieurs sont venus me dire qu'ils avaient beaucoup de travail en ce moment mais .... que c'était passionnant et particulièrement riche !

Christine : Pour moi, pour le moment, c'est encore trop tôt et là encore très variable... Mais je pense que cela dépend beaucoup de la capacité de la direction du collège à mobiliser ou non ses troupes dans le sens de l'acceptation de la réforme.

Bruno : Dans mon collège, qui n'est pas représentatif (chance d'avoir un nombre suffisant de professeurs très moteurs et "leaders" qui engagent une dynamique positive), je dirai niveau 8.

Gérard : Une vraie surprise agréable ici, je dirais 8.

Isabelle : On ne peut répondre à cette question de façon collective. Certains personnels sont clairement à 10 sur cette échelle et cela depuis l'annonce de la réforme (je les appellerais les "pionniers"). D'autres sont à zéro, ce sont ceux qui étaient contre la réforme dès son annonce. Mais même parmi eux on en trouve qui essaient de s'adapter et de réfléchir à leur référentiel de compétences, à leurs EPI (je les appellerais les "réfractaires"). Entre les deux, le "marais", ceux qui ont peur du changement mais qui sont à la recherche de solutions pour améliorer la réussite des élèves. Parmi eux se trouvent de nouveaux convertis qui, après avoir goûté aux compétences en sixième (que nous avions mises en place juste avant), ont rejoint le groupe des pionniers. Le groupe des "réfractaires" devient de plus en plus minoritaire (…).

Anne-Marie: 7

ToutEduc : Quelles sont les premières réactions, positives ou négatives, des élèves et des parents ?

Séverine : Les plus : LV2 en 5ème, la prise en compte des besoins des élèves, les journées plus courtes des élèves de 6ème. Les craintes : moins d'heures de cours avec les EPI, plus de classe bi-langues, moins de latin (…).

Marie-Paule : Réactions plutôt positives. Des questions pour comprendre les intitulés un peu nouveaux apparaissant sur les emplois du temps. Intérêt pour les nouveaux dispositifs. Accueil très favorable du latin obligatoire en 5ème (spécificité du collège).

Christine : Je sens les parents en position d'observateurs pour le moment et dans l'attente de vécu plus précis par leur enfants ou dans les relations avec l'établissement. Ils se posent des questions sur les évaluations qui pour le moment n'ont pas changé. Ils sont dans l'attente d'une meilleure communication sur la réforme, son temps d'application, la visibilité des actions concrètes et du temps estimé pour faire progresser de leurs enfants.

Bruno : Un peu tôt pour les parents. Les premières rencontres parents-professeurs amèneront peut-être les parents à questionner. Par exemple des professeurs d'histoire-géo ont fait le choix de ne plus mettre de notes intermédiaires, d'évaluer par compétences, et de "convertir" néanmoins par une note trimestrielle pour le bulletin, en plus du socle. Peut-être certains parents vont-ils questionner cette méthode ?

Gérard : Lors des soirées parents-professeurs de fin septembre, les parents ont exprimé une grande sérénité sur la mise en place de la réforme, étant surtout très intéressés par l'accent fort mis sur l'accompagnement personnalisé.

Isabelle : Comme pour les personnels d'éducation, l'on ne peut généraliser la réaction des parents. Certains sont très partisans des nouvelles méthodes, d'autres ont peur du changement. Certains parents des meilleurs élèves tiennent aux notes car cela leur permet de situer leur enfant dans un "classement" (…). Mais même parmi les parents des très bons élèves, certains préfèrent l'approche par compétences : une mère est venue se plaindre auprès de moi qu'un professeur donne des notes en sixième ! A ce stade il est normal que les parents soient inquiets : ce n'est que lorsqu'ils auront vu les premiers relevés de compétences de leurs enfants et qu'ils réaliseront que cela leur donne autant d'indications, voire davantage, sur la réussite de leur enfant, qu'ils seront rassurés.

Anne-Marie : Pour les élèves : adhésion aux EPI, motivation à bénéficier de l'interdisciplinarité, travail entre pairs, les tâches complexes.

ToutEduc : Qu’est-ce qui vous semble le plus efficace pour la réussite scolaire des élèves ?

Séverine : La prise en compte de leurs besoins.

Marie-Paule : Donner des objectifs et un cadre clairs (niveau supra établissement et direction d'établissement) et permettre que la liberté et la créativité pédagogiques s'expriment au mieux au plus près des élèves.

Christine : Pour faire réussir les élèves, il faut les prendre individuellement dans leur spécificité lors de leur phase d'apprentissage car chaque humain est unique (...) : il doit être conseillé, aidé quand il ne comprend pas, en confiance (…). Il y a un réel problème d'inclusion de l'Éducation nationale dans la société actuelle. Trop de rigidité face à un monde toujours fluctuant et mobile. Elle est beaucoup trop à la marge de la vie de son public de 2016. De plus, elle ne peut tout faire et ne peut tout maîtriser (…) ni remplacer les parents en dehors de l'école : il faut que les parents retrouvent leur place de premier éducateur de leur enfant (…) Il faut aussi revoir la formation des enseignants (...) : éduquer n'est pas une science cadrée et linéaire que l'on apprend en milieu fermé (fac) mais une remise en question de tous les jours sur le terrain, un apprentissage direct au contact de l'enfant, du groupe (…).

Bruno : Donner du "sens" aux enseignements, les rendre le plus concrets possibles. Motiver un maximum en valorisant les progrès et les efforts parfois modestes de certains... plutôt que d'insister exclusivement sur les manquements et les écarts avec les "attendus".

Gérard : Le renforcement de l'individualisation des parcours. C'est le seul moyen efficace pour garantir la réussite de tous les élèves. Et la réforme du collège a très clairement fait le pari de ce paradigme.

Isabelle : Les nouvelles méthodes d'apprentissage et la différenciation qui découlent logiquement de l'approche par compétences sont un outil beaucoup plus efficace au service de la réussite de TOUS les élèves (…).

Anne-Marie : Les dispositifs ciblés en petits groupes et co-animés ; le travail entre pairs (tutorat valorisé), mise en pratique d'activités concernant la métacognition ; la liberté et les moyens d'innover au sein d'une pédagogie différenciée à laquelle contribue l’ensemble des professionnels et en particulier les assistants d'éducation (ex : travail spécifique sur les évaluations des élèves en grande difficulté pendant que le reste de la classe est surveillé en permanence) afin de cerner l'endroit qui fait blocage. Explorer l’endroit du "je ne suis pas capable" difficile à faire en dehors d'un temps dédié.

Jean-Yves, CPE dans un collège situé en REP de l’agglomération lyonnaise : Dans notre collège, promouvoir le travail ensemble n'a pas de sens : il est dans nos gènes. C'est parce qu'il est au cœur de nos pratiques qu'il existe un esprit propre à l'établissement, très particulier, qui nous permet de vivre de belles aventures humaines. De plus, les moyens que nous avons, nous permettent d'avoir une expérience de la co-animation depuis plusieurs années. Les EPI font partie de notre univers. Ils se sont mis en place sans crise forte, dans une belle sérénité. Un bémol, toutefois, nous n'avons pas de recul sur ce qui construit leur contenu.

Propos recueillis par Claude Baudoin

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