"Pour le respect, la culture et la paix scolaire…" (tribune de D. Senore et P. Frackowiak)
Paru dans Scolaire le samedi 08 octobre 2016.
Dominique Sénore, pédagogue, et Pierre Frackowiak, inspecteur honoraire de l’Education nationale, demandent "un souffle nouveau que n’ont pas encore su apporter les tentatives de refondation". Ils nous ont adressé cette tribune que nous publions bien volontiers :
"Il y a ce livre au titre scandaleux ! Et puis un article dans un hebdomadaire avec des photos présentant des personnes respectables comme étant des assassins !
Nous devions réagir
Certes, depuis quelques mois voire quelques années, nous constatons une dérive de notre système scolaire, dans son ensemble, même si quelques îlots de résistances et d’innovation donnent le change. Des enseignants innovent, effectivement, font preuve de bienveillance envers leurs élèves tout en étant rigoureux dans la conduite de leurs classes, exigeants quant aux résultats de leur enseignement et aux évaluations des apprentissages de leurs élèves. Nous avons eu l’occasion de visiter certaines de ces classes, de voir des documentaires en concernant d’autres… Tout cela nous réjouit, bien sûr. Mais l’ensemble nous laisse un goût terriblement amer.
C’est de posture dont il faut parler
Nous sommes de plus en plus convaincus que rien ne change pour les élèves qui n’appartiennent pas au premier tiers de leur classe parce que les réformes sont passées sans que les enseignants aient pu trouver les clés du changement de leurs pratiques. En fait, c’est à un véritable le changement de posture des enseignants que nous appelons. C’est, nous semble-t-il, une des conditions de la réussite des élèves. Car, à y regarder de près, c’est ce qui s'est passé avec des professeurs tels que Nicolas, Catherine, Bruce, Sylvain, Lila, Rémi, Fernand, Célestin, Roland, Sylvie, Philippe, Maria, et beaucoup d'autres… Mais ils ne sont pas suffisamment nombreux, encore, pour impulser une réelle transformation du système !
Elles et Eux ont compris que faire une préparation de classe, selon le modèle distribué en centre de formation ou en conférence pédagogique, bien propre, bien prometteur, ne garantissait en rien que leurs élèves apprennent. Elles et Eux sont parvenus à modifier leurs pratiques parce qu'ils ont changé de posture professionnelle. Parce qu’ils ne pouvaient plus faire « prof pour semblant ». Parce que faire la classe à la classe est plus complexe que de transmettre un savoir à un/e élève mobilisé/e sur les apprentissages. Attention, cela ne fut pas toujours facile pour eux car, pratiquement à chaque fois, leur hiérarchie les a au mieux ignorés, au pire déconsidérés, et dans certains cas, maltraités. Et même si un travail d'accompagnement, extérieur et militant ou universitaire, a permis, parfois, de leur redonner leur dignité et foi dans leur métier, la trace laissée par leurs blessures est encore visible et affleure.
Qui pour former au changement de posture ?
Ce changement de posture, même si on constate ses bienfaits sur les résultats des élèves, en particulier les plus fragiles, ne se décrète pas… Pas plus d'ailleurs que l'application de telle ou telle réforme. C'est simple à exprimer. Cela l'est moins à comprendre par celles et ceux, justement chargés de faire appliquer, intelligemment et professionnellement, les réformes sensées améliorer la prise en charge des élèves.
Un effet de "mode" semble actuellement placer sur le podium l'éthique, ainsi que les valeurs républicaines et la citoyenneté. Les corps d'inspections, tous niveaux d'enseignement confondus, exhortent à une "éthique des enseignants". Le principal syndicat des professeurs des écoles invite un éminent enseignant-chercheur et auteur, Eirick Prairat, à son université d'automne pour une conférence sur "l'éthique des enseignants" ; un inspecteur général a récemment coordonné un ouvrage : "l'éthique relationnelle, une boussole pour l'enseignant" (éditions Canopé) –Dominique Sénore en est l’un des contributeurs-. Chacun veut croire que, du discours, sortiront des pratiques améliorées... Nous craignons malheureusement que nous nous fourvoyions gravement et que ces conférences et ces ouvrages, pour intéressants qu'ils soient n'aident pas les enseignants, seuls, à trouver la posture professionnelle qui aidera chacun de leurs élèves à entrer dans le monde des apprentissages. Il manque un chainon nous semble-t-il… Les corps intermédiaires, écrivons-le plus simplement, les corps d'inspections et les chefs d'établissement, n’animent pas suffisamment le travail des enseignants dont ils ont la responsabilité. Les formations professionnelles, initiales et en cours de carrière, restent insuffisantes. Ces professionnels de l’Education nationale restent, dans leur immense majorité, trop distants des pratiques des enseignants qu'ils sont supposés :
- entraîner à mieux enseigner,
- encourager à découvrir des pratiques diversifiées et adaptées aux différents types d’élèves rencontrés,
- former à une meilleure connaissance des relations à entretenir au sein d'un groupe classe, et plus généralement de la communauté scolaire et éducative élargie, avec chacune et chacun des interlocuteurs partenaires de l'Ecole dont les parents restent, encore aujourd’hui, les grands oubliés.
Leur travail demeure, encore beaucoup trop, administrativement cantonné à réaliser des enquêtes statistiques, à aligner des chiffres pour en faire (bravo à celles et ceux qui pratiquent autrement et considèrent les enseignants comme de véritables collaborateurs de proximité. Nous avons rencontré quelques enseignants qui reconnaissaient le bienfondé de leur pratique).
C’est de posture qu’il faut changer
"Rien n'a changé depuis la communale" chantait François Béranger... Et pourtant si : le respect d'une partie de la société civile, des administrations et des hiérarques pour les professeurs des écoles, des collèges, des lycées professionnels, d’enseignement général ou technologique.
Du coup, si problème il y a, envisageons-le sous un autre paradigme ? Et pourquoi pas le paradigme éthique ! Mais à condition qu'il concerne l'ensemble du système et ne soit pas exigé des seuls enseignants. Et surtout qu'il ne soit pas lancé comme on lance une nouvelle campagne publicitaire ou de communication mais, au contraire, qu’il soit expliqué, décortiqué, et surtout traduit en pratiques opérationnelles et en postures professionnelles... En quoi ce paradigme peut aider un professeur, dans sa classe, à porter un autre regard sur ses élèves ? Comment traduire en gestes professionnels, et avec quels outils, une pratique radicalement renouvelée ? Cela demande du travail, long et difficile, coûteux certes mais qui pourrait rapporter gros… Nous éviterions aussi, peut-être, d'avoir à réagir à nouveau par une pétition, à un ouvrage et à un article d’un magazine pour rester concentrés sur l'essence même du métier d'enseignant, de formateur, de chef d’établissement ou d'inspecteur : accompagner chacune et chacun des élèves jusqu’à son pôle d'excellence, aider chacune et chacun à devenir "oeuvre de soi-même", au sein de l’Ecole républicaine, (re)devenue démocratique et égalitaire.
L’Ecole aujourd’hui comme tous ses enseignants ont davantage besoin de confiance, de respect et de soutien. L’Ecole et ses enseignants aspirent à un souffle nouveau que n’ont pas encore su apporter les tentatives de refondation."