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"La déségrégation sociale à l’école est l’angle aveugle des politiques scolaires depuis 30 ans" (Rapport du Cnesco)

Paru dans Scolaire le lundi 26 septembre 2016.

"Aucune politique, aucune pratique pédagogique ne résiste aux effets délétères de la concentration extrême des difficultés scolaire et sociale dans des établissements ghettos", insiste Nathalie Mons, la présidente du Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco), dans l’introduction du rapport publié ce mardi 27 septembre, intitulé "Ecole : pour quelles raisons la France est devenue le pays le plus inégalitaire de l’OCDE ?".

Partant des résultats des enquêtes PISA 2000 - 2012 qui ont démontré la progression des inégalités à l’école en France, le Cnesco a demandé à 22 équipes de recherche, françaises et étrangères de "mener pendant deux ans des enquêtes distanciées et sans tabou" puisqu'elles ont travaillé sur les "inégalités migratoires" et sur la réalité de ce qui se passe dans les classes, sans hésiter à remettre en cause les politiques suivies avec constance depuis les années 80, et malgré les points aveugles de l'outil statistique français, qui sait tout des inégalités sociales, mais connaît mal l'enseignement primaire ou les origines des élèves. "Les résultats cumulés de ces recherches sont étonnants, mais les responsabilités ne sont pas toujours où l’on pense", commente Nathalie Mons.

Les effets pervers de l'éducation prioritaire 

Premier constat : "les inégalités ont progressé en France depuis 15 ans parce que dans un premier temps les élèves les plus défavorisés socialement voyaient leur niveau baisser et que très récemment les résultats de l’élite scolaire sont, eux, à la hausse". Première cause, les élèves subissent une inégalité de traitement. Certes, les effectifs sont un peu moins lourds en éducation prioritaire, 2 élèves de moins par classe, "ce qui est insuffisant pour avoir un impact significatif sur les apprentissages". Mais une partie des heures de cours étant dévolues à des problèmes de discipline, le temps utile est plus court. Les enseignants sont moins expérimentés, moins diplômés, plus jeunes. Les élèves n'ont pas accès aux méthodes pédagogiques les plus efficaces, par exemple ils ont moins accès aux mathématiques formelles. Enfin ils sont dans des établissements fortement ségrégués, certains collèges comptant 2/3 d'élèves défavorisés. Certes, les relations entre les enseignants et les élèves se sont améliorées, mais elles se sont améliorées davantage pour les élèves favorisés que pour les élèves défavorisés. Au total, les effets pervers des politiques d'éducation prioritaire l'emportent, au point que Nathalie Mons parle d'une discrimination positive, "donner plus à ceux qui ont moins", "devenue négative".

A ces inégalités de traitement s'ajoutent des inégalités de résultats. En ce qui concerne la compréhension de l'écrit, et en se fondant sur les résultats de l'enquête PISA, que le Cnesco juge pertinente, le niveau des élèves les plus défavorisés a baissé en compréhension de l'écrit (tandis qu'il progressait en moyenne OCDE) et il s'est élevé pour les élèves les plus favorisés. Ces inégalités des acquis provoquent des inégalités en termes d'orientation, inégalités accrues du fait de l'auto-censure des familles défavorisées, ou de leur mauvaise information sur les filières, mais aussi du fait d'une moindre confiance des enseignants lorsqu'un élève a un niveau un peu juste. Ces inégalités en provoquent d'autres en termes de diplomation, les élèves défavorisés ayant plus souvent un bac professionnel qu'un bac général, puis en termes d'insertion professionnelle.

Les élèves issus de l'immigration

En 10 ans, toujours d'après PISA, "l'écart de performances scolaires entre les élèves issus de l'immigration et les natifs s'est accru"; c'est ainsi qu'en 2012, 43 % des élèves nés en France mais dont les parents sont nés à l'étranger "n'atteignent pas le niveau 2 en mathématiques". Quand le niveau des "natifs" (deux parents nés en France) baissait de 13 points, celui des "2ème génération" baissait de 24 points. On aurait pu espérer l'inverse, puisque le niveau d’éducation de leurs parents est en forte progression, et que ce niveau avait une influence sur les résultats de leurs enfants. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, malgré leur forte mobilisation. "Les familles issues de l'immigration maghrébine ont des aspirations scolaires deux fois plus élevées, pour un baccalauréat général que celles des familles françaises" et leurs enfants ont deux fois plus de chances de prendre des cours privés. Mais seuls les enfants venus de Chine et d'Asie du Sud-Est ont des résultats supérieurs à ceux de leurs homologues "natifs"; ceux des enfants Turcs sont nettement plus faibles. Si l'école primaire tend à corriger un peu ces inégalités, le collège les voit s'accentuer. Les chercheurs s’interrogent : "Le statut d’immigré serait-il associé à des formes nouvelles de discrimination négative ?". C'est en tout cas le sentiment qu'ont les familles, et "un gouffre se creuse".

Plus généralement, qui est responsable de l'accroissement des inégalités à l'Ecole ? Les travaux montrent "un impact limité des évolutions économiques et sociales". De même, la responsabilité de l'enseignement privé comme des cours particuliers serait limitée. En revanche, "le fait de faire des devoirs à la maison est corrélé positivement aux résultats scolaires."

Les politiques scolaires sont en cause

Ce sont donc les politiques scolaires qu'il faut incriminer. La scolarisation des moins de 3 ans pourrait être un facteur positif, mais "faute d'un travail de fond mené en collaboration avec les collectivités locales et d'une politique de communication efficace en direction des familles défavorisées", l'objectif n'a, "pour l'instant", pas été atteint.

Les diverses formes d'aide personnalisée ont toutes les mêmes défauts, elles ne concernent, au mieux, que quelques heures et celles-ci sont "en marge" des autres heures de classe, donc sans impact sur la pédagogie en général. De plus, les enseignants n'ont pas d'outils de diagnostic des besoins des élèves. Certes, le "plus de maîtres que de classes" va dans le bon sens, mais la différenciation de la pédagogie supposerait des moyens, et surtout des maîtres formés. Or, pour ce qui est de la formation continue, "la France décroche". Quant à l'éducation prioritaire, dont la réforme récente n'a pas permis de mieux définir les objectifs, et qui a pour défaut de ne pas lutter contre les ségrégations, mais de tenter d'en réparer les effets, le Cnesco hésite à préconiser sa disparition, bien que la plupart des pays y aient renoncé.

Les coulisses de la cuisine scolaire

Pour les auteurs du rapport, "la déségrégation sociale à l’école est l’angle aveugle des politiques scolaires depuis 30 ans". Toutes les politiques, tous les budgets resteront peu efficaces si les collèges les plus ségrégués ne font pas l’objet d’une politique volontariste de mixité sociale. Même si cet objectif est présent dans la loi de Refondation, les chercheurs considèrent que "la mixité sociale n’aura donné lieu lors de ce quinquennat qu’à une expérimentation à très faible échelle", sans protocole scientifique connu. Et pendant ce temps-là, "dans les coulisses de la cuisine scolaire, le séparatisme social au cœur des collèges a tranquillement poursuivi son cours (SEGPA, 3e technologiques, 3e d’insertion, option découverte professionnelle de 6 heures en 3e… (...) Une histoire qui se poursuit aujourd’hui avec l’institutionnalisation de la 3e préparatoire à l’enseignement professionnel".

Pour le Cnesco, les politiques pourraient pourtant s'appuyer beaucoup plus qu'ils ne le pensent sur les acteurs de terrain et miser sur leur expertise. Il propose aussi de développer l'expérimentation du "professeur des apprentissages fondamentaux", qui suivrait un même groupe d'élèves sur l'ensemble du cycle 2 et qui aurait été formé en conséquence. Il faudrait également renforcer l'évaluation pour donner "aux équipes pédagogiques les moyens de repérer les résultats scolaires de leurs élèves face aux objectifs nationaux", accompagner davantage les familles les plus éloignées de l'école au moment de l'orientation de leurs enfants, et ramener les fonds sociaux dont disposent les établissements pour venir en aide aux élèves "à un niveau proche de celui du début des années 2000".

Le rapport ici.

Colette Pâris et Pascal Bouchard

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