L'amour, l'affection au centre de la relation éducative (les livres de P. Gaberan et de C. Alvarez)
Paru dans Scolaire, Périscolaire, Justice le vendredi 23 septembre 2016.
"S’ils veulent sauver leur métier, et de manière plus générale s’ils veulent sauver les métiers de l’humain, les adultes éducateurs n’ont d’autre choix que d’oser le verbe aimer." C’est ce qu’affirme Philippe Gaberan, directeur du pôle éducation spécialisée à l'IFRASS de Toulouse, dans "Oser le verbe aimer en éducation spécialisée". Pour l’auteur, aimer veut dire éduquer chaque fois que la rencontre est un dialogue entre l’intimité de deux "je" : celle d’un adulte perçu comme référent et celle d’un gamin aperçu dans ses possibles. Des lors, parce que fondée sur le consentement et la réciprocité, se trame une relation éducative qui est aussi une relation d’amour. Le préfacier de cet ouvrage, Michel Lemay (Université de Montréal), souligne que l’amour dans le contexte d’une relation éducative n’est pas un désir d’emprise sur un enfant pour qu’il devienne un objet se comportant selon des normes fixées à l’avance et selon des étapes prédéterminées. Il n’est pas un mouvement possessif cherchant à faire entrer un être dépendant dans une situation factice de pseudo-filiation ou d’appartenance. Il n’est pas un effort pour qu’il renie son passé et rejette en bloc tous ses investissements antérieurs. L’objectif, pour l'éducateur, est bien de mettre son énergie professionnelle, son savoir et sa disponibilité au service d’un sujet en échouage transitoire.
Cela exige d’avoir l’ambition d’une transformation possible en même temps que l’humilité d’une réalisation, car le problème d’un tel métier est d’encaisser bien des coups durs sans toujours voir les résultats, qui apparaissent beaucoup plus tardivement. Si un savoir-faire est nécessaire, il exige aussi un savoir-être, un terme qui éveille également de la méfiance et de la suspicion. Toujours selon Michel Lemay, ce mot, tout comme celui d’amour, devient générateur de malaise. On craint qu’il nous introduise dans un humanisme larmoyant et utopique au moment où on rêve de découvrir des moyens techniques donnant une certitude d’efficacité et une garantie d’immédiateté.
Bien que cela ait été rarement mentionné par les très nombreux commentateurs, le livre de Céline Alvarez "Les lois naturelles de l’enfant" où elle explique comment elle a travaillé pendant trois ans avec des enfants de maternelle, insiste lui aussi sur l'importance de l’amour en éducation : l’enfant naît câblé pour apprendre et pour aimer. Céline Alvarez pense pouvoir affirmer que l’amour a été la pierre angulaire de la réussite de l’expérience de Gennevilliers. "Je suis certaine, écrit-elle, que la confiance, l’empathie et la foi que nous manifestions aux enfants ont littéralement embrasé leur intelligence, leur mémoire, leur humeur, leur santé et leurs qualités sociales et morales. Les tests n’ont pas pu le mesurer, mais je n’ai aucun doute sur ce point. Une étude finlandaise récente nommée 'The First Steps Study' montre en effet que l’attitude chaleureuse et empathique de l’adulte est plus déterminante pour la réussite scolaire que les outils pédagogiques utilisés et même qu’un nombre restreint d’enfants par classe."
L’auteur indique que cette étude porte sur le suivi pendant plus de 10 ans des interactions de plusieurs milliers d’enfants avec leurs professeurs et précise que, pour elle, il est important que les enfants bénéficient en parallèle de la "reliance" et de l’affection portées par les autres enfants de la classe tout en ayant la possibilité de se nourrir d’activités qui les motivent "au moment où elles les motivent."
"Oser le verbe aimer en éducation spécialisée", Erès, 296 p, 23 €
"Les lois naturelles de l’enfant", Les arènes, 464 p. 22 €