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Eduquer au numérique, oui, mais comment et pourquoi ? (revue Diversité)

Paru dans Scolaire, Périscolaire, Culture le vendredi 23 septembre 2016.

Les arguments en faveur d’une éducation au numérique sont nombreux "mais sa mise en oeuvre s’avère complexe au sein d’une institution qui n’est pas prête". L'Ecole est d'ailleurs confrontée à un paradoxe, relève Régis Guyon dans l'éditorial du dernier numéro de la revue Diversité. On considère trop souvent les jeunes comme étant "a priori compétents et experts", mais dans le même temps, leurs pratiques sont susceptibles d’être l’objet à l’école de mépris "du fait qu’elles seraient liées à des savoirs minuscules" ; elles seraient "illégitimes, inintéressantes, voire dangereuses". Il est donc "urgent de reconnaître la place du numérique dans les continuités éducatives et de penser les articulations entre ces différents temps et usages" dans un monde, souligne Jean-François Marchandise (FING) où "tout est devenu plus mobile et plus incertain".

Est-ce à dire que les échanges vont de soi ? Non. Même si le numérique peut favoriser des "liens faibles , moins engageants et parfois plus faciles à nouer que les liens forts de nos connaissances directes", un collégien qui "a du mal dans la cour de récréation" aura "du mal en ligne". ATD Quart Monde a conduit il y a quelques années un programme "qui montrait qu’une certaine partie de leur public n’a aucun problème avec la technique ; le problème réside dans le fait que leur carnet d’adresses est vide…"

Une fracture numérique à quatre niveaux

Pascal Plantard (Rennes-II) propose une analyse en plusieurs niveaux de la fracture numérique. Elle ne porte pas tant sur les équipements que sur les usages "très contrastés" des logiciels entre les groupes sociaux, sur l’interprétation des informations issues de ces usages et sur "la socialisation des pratiques numériques" qui est, elle aussi, "tout à fait inégalitaire". Il donne l'exemple des lycéens hyperconnectés du centre-ville de Rennes qui utilisent le réseau social Facebook "pour l’ensemble de leurs activités – des loisirs aux études –, plusieurs heures par jour" tandis que "les apprentis boulangers des lycées professionnels de la périphérie ouvrent FB le vendredi soir pour 'pécho de la zouz' (trouver des filles) et organiser la soirée arrosée du samedi (...) La fracture ne se réduit pas, elle se déplace (...) Ce n’est pas d’un petit plan 'tablettes' mais d’un grand plan pour l’éducation prioritaire dont nous avons besoin".

Emmanuel Davidenkoff (journaliste) souligne une autre difficulté, "une sorte de conservatisme de la part des élèves" qui considèrent, lorsque l'informatique est utilisée en classe "qu’ils se sont amusés mais qu’ils n’ont rien appris, alors que les adultes présents ont bien vu que les enfants avaient appris des choses (...) Sans doute croyaient-ils que l’apprentissage ne pouvait se faire que devant une table, sur une chaise et dans la souffrance ? On voit bien que ce n’est pas la question du numérique qui se pose, mais celle du pédagogique."

Des téléphones pour avoir le silence en classe

Pourtant, fait remarquer Mickaël Le Mentec (Université de Picardie), "les acteurs politiques n’hésitent pas à parsemer leurs discours d’expressions toujours plus modernes pour afficher de nouvelles orientations. De la fracture numérique à l’inclusion numérique, de l’empowerment au pouvoir d’agir, les technologies sont invariablement envisagées comme des symboles de modernité capables de résoudre des problèmes complexes" alors que "les technologies sont à la fois le remède et le poison".

Leur utilisation peut être positive. Les téléphones portables sont souvent interdits en classe, pas dans celles de Jérôme Lagaillarde (professeur de lettres dans un collège parisien) qui explique tous les usages pédagogiques qui peuvent en être faits, mais qui s'est aussi "rendu compte que les élèves étaient bien plus concentrés sur leur travail, lors des tâches individuelles, quand (il) autorisai(t) les écouteurs en classe. Isolés dans leur 'bulle', ils ne bavardent pas avec leur voisin, cessent de bouger, de se lever, de faire du bruit." Et pour lui, le point le plus positif de l’introduction du smartphone dans le cours de la classe "repose sur l’engagement des élèves dans le travail : le fait de partager les fichiers, d’enregistrer pour les autres, etc., fait que les relations au travail sont portées par la relation au groupe."

Des interdictions hors la loi

Claude Bisson-Vaivre (médiateur de l'Education nationale) apporte toutefois un sérieux bémol à ce tableau idyllique  : " La sonnerie intempestive du téléphone portable (...), les textos échangés sous la table de classe – quand ce n’est pas le visionnage d’une vidéo – alors que le professeur dispense son cours (...) génèrent des incompréhensions et conduisent à des punitions, voire à des sanctions. Comme souvent, dans un premier temps, le système et ses acteurs se réfugient derrière des règles qui définissent des interdits (...) Nombreux sont les règlements intérieurs qui ont introduit une clause interdisant l’usage des téléphones portables, voire l’interdiction d’en posséder un à l’intérieur de l’enceinte scolaire, en contravention avec la loi. Des appareils sont ainsi confisqués, conservés dans les tiroirs des bureaux des équipes de direction ou d’éducation, en ignorance complète du droit en la matière."

S'agissant d’Affelnet et d’APB, les parents "ont le sentiment que les processus algorithmiques (...) viennent les priver de la liberté de choix pour imposer ceux d’une machine ou d’une administration déshumanisée (...) Ce n’est pas tant 'l’inhumanité' de la machine ou de l’application qui est en cause que la rigidité de la procédure, son déroulement dans un endroit ignoré, un ailleurs tenu secret ; bref, un mystère qui éloigne de la raison."

Le gag côtoie le sordide

A ces difficultés de l'institution s'ajoutent donc celles des élèves. "Les adolescents des filières pro s’informent principalement par le biais de leur fil d’actualité Facebook", fait remarquer Sophie Jehel (Paris-VIII) qui ajoute qu'ils "se sentent souvent débordés par le flux d’informations disparates qui se succèdent sans ordre (...) Le gag côtoie le sordide, l’information jouxte la désinformation. Les fils d’actualité livrent ainsi une information désorganisée et chaotique qui favorise les croyances les plus fantaisistes." Dès lors, "plus qu’apprendre à coder, il est nécessaire de mettre en place des situations pédagogiques pour décoder" ces fonctionnements et faire "prendre conscience aux jeunes du formatage imposé par (la) rationalisation algorithmique (...) des multinationales", estiment Christian Gautellier (CEMEA) et Georges Sinuy (éducateur).

Les mouvements d’éducation populaire , explique Hélène Grimbelle (Ligue de l'enseignement), mènent "trois grands types d’actions" pour répondre à ces enjeux. Avec le projet "D-Clics numériques" (soutenu par le Programme d’investissements d’avenir), ils proposent "la construction de sept parcours éducatifs, correspondant à 70 heures d’activités clés en mains pour les enfants et les élèves de 8 à 14 ans, intégrés dans les enjeux du socle commun", des formations "pour aider les enseignants et les animateurs à relever ces nouveaux défis éducatifs" et un accompagnement "au plus près" des Projets éducatifs de territoire (PEdT), "mais aussi des projets d’école et d’établissement".

La cyberviolence commence à l'école élémentaire

La revue pose aussi la question de la légalité des usages dès le plus jeune âge. Catherine Blaya (Université Côte d’Azur) et Michaël Fartoukh (Université Nice-Sophia-Antipolis) montrent que, bien que Faebook soit réservé aux plus de 13 ans, "plus d’un enfant sur dix (13 %) chez les 9-10 ans et 37 % des 11-12 ans ont déclaré avoir un profil sur un réseau social". Il existe peu d’informations sur l’implication dans des faits de cyberviolence des élèves du primaire, mais selon une étude suédoise, 20 % des 8-11 ans "auraient vécu une expérience négative en ligne". Une autre étude, portant sur les 7-11 ans "montre que cette tranche d’âge est affectée par le phénomène" et une troisième enquête montre que "les plus jeunes (sont) les plus victimes".

Diversité s'intéresse aussi à l'économie de la reproduction et de la diffusion des documents numériques dont le coût marginal, celui du énième exemplaire, "tend vers zéro". Or cette confusion "entre le coût marginal et les coûts réels de production a entraîné dans la foulée la confusion entre partage et gratuité. De plus, la notion de partage est galvaudée. "Sur les médias sociaux, le 'partage' n’est que la 'réédition' ou la 'transmission' d’oeuvres".

Le rôle du CDI

A l'inverse, on voit de nombreux jeunes participer "à des projets d’écriture dont ils ne parlent pas à leurs enseignants, car ils ne les considèrent pas comme des apprentissages scolaires". Hervé Le Crosnier (Université de Caen) cite une collégienne : "Avant de découvrir Wattpad (un réseau social consacré à l’écriture qui regroupe plusieurs millions d’auteur.e.s en herbe ou confirmés), j’écrivais sur papier mais je ne le mentionnais pas beaucoup (...) Il n’y a pas de commentaires négatifs sur Wattpad. On nous donne juste des conseils pour améliorer l’histoire." Le chercheur ajoute : "Il n’est évidemment pas anodin que ce genre d’expériences pédagogiques informelles trouve parfois place au CDI, ce lieu (...) étant justement l’espace d’ouverture de l’école sur les pratiques culturelles (...) Apprendre les codes du partage, la culture numérique, la construction d’un internet qui resterait un commun et une ressource ouverte fait dorénavant partie des missions de l’école, de cet éventail de savoirs que nous aimerions tant que nos élèves (et leurs enseignants) possèdent : connaissances, savoir-faire/compétences, savoir-être, citoyenneté."

Diversité, n° 185, 200 p., 15 €, revue éditée par le réseau Canopé

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