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Mineurs étrangers accompagnés : la France à nouveau condamnée (une analyse d'A. Legrand)

Paru dans Justice le dimanche 04 septembre 2016.

Cinq ans après une première condamnation dans l’affaire Popov, la Cour européenne des Droits de l’Homme vient de rendre, le 12 juillet 2016, cinq nouveaux arrêts désavouant les pratiques suivies pour le traitement de la situation des mineurs étrangers accompagnant en France leurs familles dans des centres de rétention.

Dans la plupart des cas, il s’agissait de familles qui, après un refus d’un titre de séjour, s’étaient vues placées en rétention, dans l’attente de l’exécution d’une obligation de quitter le territoire français, d’abord dans des centres, puis, suite à différents recours, frappées de mesures d’assignation à résidence. La Cour précise les règles qu’elle avait appliquées dans l’affaire Popov et elle reprend, en en précisant les réponses, les deux questions essentielles qu’elle avait déjà traitées à l’époque : y a-t-il eu violation de l’article 3 de la Convention qui proscrit les traitements inhumains et dégradants ? Y a-t-il eu violation de l’article 5 qui protège le droit à la liberté personnelle ?

Un seuil de gravité

Sur le premier point, la Cour rappelle que le maintien en rétention de mineurs ne constitue pas à soi seul un traitement inhumain ou dégradant. Pour qu’il justifie cette qualification, il faut qu’il dépasse un certain seuil de gravité. Car, rappelle la Cour, la présence des parents auprès des enfants n’est pas de nature à exempter les autorités publiques de toute obligation de protéger l’enfant et d’adopter, pour ce faire, les mesures adéquates.

Dans les cinq cas présents, la Cour estime que le seuil a été dépassé et qu’il y a bien eu violation de l’article 3 de la Convention à l’égard des enfants concernés : pour arriver à ces conclusions, la Cour précise les critères sur lesquels elle se fonde. Ils tiennent à l’âge des enfants, à la durée de la rétention et aux conditions dans lesquelles celle-ci s’est déroulée.

Sur ce dernier point, la Cour constate les différences séparant les présentes affaires du précédent Popov. Que ce soit au centre de rétention de Toulouse, en cause dans quatre des cinq affaires, ou à celui de Metz, les conditions matérielles de la rétention étaient correctes : la Cour constate que les familles étaient séparées des autres retenus, qu’elles disposaient d’équipements spécifiques et, en particulier, d’un matériel de puériculture adapté.

Le bruit et la durée

C’étaient donc les conditions dans lesquelles les centres étaient installés qui posaient problème. A Toulouse, le centre avait été élevé "en zone inconstructible" (sic), située en bordure immédiate des pistes de l’aéroport de Blagnac, et cela exposait ses occupants à des nuisances sonores particulièrement importantes. A Metz, il n’y avait pas de séparation étanche entre la cour intérieure de la zone familles et la zone hommes et là encore, le bruit provoqué par les appels diffusés toute la journée par des haut-parleurs au volume élevé constituait un trouble sérieux pour les conditions d’existence. La Cour estime que ces conditions présentaient pour de jeunes enfants un caractère anxiogène qui ne pouvait manquer de laisser des troubles psychiques et émotionnels.

Ceux-ci sont d’autant plus importants que l’enfant est plus jeune (ceux qui étaient ici concernés avaient entre 4 mois et demi et sept ans). Leurs effets sont aussi fonction directe de la durée de la rétention : si, précise la Cour, les troubles, bien que sources importantes de stress et d’angoisse pour un enfant en bas âge, ne suffisent pas à eux seuls à atteindre le seuil de gravité emportant violation de l’article 3, la répétition et l’accumulation de ces agressions au-delà d’une brève période ont nécessairement des conséquences néfastes qui dépassent le seuil exigé.

La question était donc de savoir ce qu’est une "brève période" : la réponse de la Cour est sévère, puisqu’elle estime, dans un des cas, qu’une durée de neuf jours dépasse le seuil admis. Autant dire que ce critère n’aura qu’une importance subsidiaire et que, dès lors qu’elles concerneront des enfants en bas âge, la très grande majorité des situations de rétention seront considérées comme des traitements inhumains et dégradants.

Absence de solutions alternatives

S’agissant de la violation de l’article 5 de la Convention proclamant le droit de chacun à ne pas être privé de sa liberté, la Cour rappelle que le placement en rétention de mineurs accompagnés n’est pas nécessairement non plus une décision contraire aux dispositions de cet article, dès lors que deux conditions sont remplies. Il faut d’abord que les intéressés aient bénéficié d’un droit au recours effectif : sur ce point, la Cour estime que c’est le cas pour les mineurs accompagnés, à partir du moment où les parents peuvent l’exercer. Il faut ensuite que les autorités publiques constatent qu’il n’y avait pas de solution alternative moins attentatoire à la liberté et que la privation de liberté était nécessaire pour assurer l’expulsion de la famille.

Dans un cas, elles n’avaient pas opéré cette recherche. Dans deux autres, il n’apparaissait pas clairement que la recherche ait été effectuée. La Cour, analysant en particulier la volonté manifestée par les intéressés d’accepter le retour dans leur pays d’origine et les risques de fuite des intéressés pour apprécier la nécessité des mesures prises, conclut donc à la violation de l’article 5 dans trois des cas qui lui ont été présentés.

Cette jurisprudence limite très fortement les possibilités de mettre des mineurs étrangers, même accompagnés, en rétention administrative. En attendant, appelée à se prononcer sur les conséquences dommageables des décisions ici en cause, la Cour accorde des indemnités dans la totalité des cas. Elles oscillent entre 1 500 et 9 000 euros.

 

 

A. Legrand

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