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Des "décrocheurs" aux "invisibles", une thèse pour repenser les difficultés d'insertion des jeunes (C. Bernot-Caboche)

Paru dans Scolaire, Périscolaire, Orientation le lundi 27 juin 2016.

"Les parcours des jeunes sont divers, mais plus ils s’éloignent de la 'voie royale', et plus ils cumulent les handicaps, plus ils décrochent rapidement et durablement." C'est partant de ce constat que Claire Bernot-Caboche définit dans sa thèse, soutenue au mois de mai à Lyon-II, une autre catégorie de décrocheurs, les 15-29 ans qui sont au terme de ce processus et qu'elle appelle "les invisibles", ceux qui "se sentent abandonnés, transparents, ignorés, sans droits, dans une société indifférente et excluante", ceux qui "cachent leur souffrance". Elle estime à 460 000 au minimum, mais vraisemblablement plus d'un million le nombre des jeunes qui sont "en invisibilité totale – ni en éducation, ni en formation, ni en emploi, ni en accompagnement", qui sont "sans aucun statut, et 'invisibles' dans les statistiques classiques". Si on pense aux jeunes qui sans être totalement invisibles, le sont au moins partiellement et sont "en danger", il faut parler de trois millions de personnes, voire quatre !

L'auteure met en garde, nul n'est à l'abri, "naitre dans une famille socialement 'privilégiée' ne protège plus de l’invisibilité, 40 % des jeunes 'invisibles' – toute catégorie confondue – ont des parents appartenant aux PCS dites 'supérieures'." Et "plus le jeune vieilli, plus il a de chance de se retrouver 'invisible' de degré 4", avec ceux qui sont sans aucun statut, alors que les politiques de jeunesse s'arrêtent à 25 ans révolus, et que les formations de haut niveau ne sont plus un rempart contre le chômage.

Les dispositifs ne manquent pas

Elle en souligne les conséquences dramatiques. "En effet, ce qui leur manque n’est pas la source de la révolte, mais l’accompagnement politique de cette révolte." A moins qu'ils ne créent une autre société, comme ces jeunes Japonais qui, "pour dire non à cette société de la consommation et de la pressurisation, ont imaginé une société de l’échange, de la débrouille, une société parallèle moins atomisée où tout est permis, où chacun a sa place".

Les dispositifs ne manquent pas. Claire Bernot-Caboche ne recense pas moins de "471 politiques publiques, structures et outils de toutes natures existants sur le territoire d'une seule agglomération", soit "un maquis illisible et méconnu". Certains sont efficaces. La Région Ile-de-France par exemple "a développé plusieurs établissements ouverts aux jeunes désireux de reprendre un cursus initial". Seul "bémol", "là où 40 000 jeunes pourraient être concernés (si on ne considère que les jeunes déscolarisés depuis moins d'un an), le nombre de places en lycées de la seconde chance n’est que de 500". En réalité, quelque 300 000 jeunes de moins de 25 ans pourraient prétendre aux 3 860 places des divers dispositifs de seconde chance sur la Région. Partout, "des solutions existent", mais elles "ne sont pas du tout dimensionnées" à la situation et au nombre des jeunes "invisibles".

Ne nous laissons pas non plus abuser par les comparaisons avec d'autres pays européens. En Allemagne ou au Danemark, le chômage des jeunes est plus faible qu'en France, mais leurs résultats en matière de précarité et de risque de pauvreté sont "médiocres" et "la France se situe dans la moyenne européenne", voire un peu mieux en ce qui concerne le risque de pauvreté des jeunes.

Un grand service public, un nouveau modèle social

Puisque "le foisonnement de dispositifs ou de structures n’est pas synonyme de résultats positifs", l'auteure estime que "le bon niveau de délimitation territoriale est l’intercommunalité, à la fois pour mettre en oeuvre une politique publique cohérente", et proposer une offre de proximité. Il s'agit de mailler le territoire et d'organiser les partenariats, mais également de rationaliser les coûts par une mutualisation des moyens (humains, matériels et financiers), ce qui suppose une "coordination des dispositifs et politiques publiques de 'jeunesse' au niveau régional" et une régulation nationale pour gérer la péréquation.

Elle en appelle à la création d’un grand service public "Prévention, Insertion et Accompagnement tout au long de la vie" qui travaillerait "sur toutes les ruptures dans les statuts des jeunes et des moins jeunes" et elle nous invite à raisonner en termes de "Capital jeunesse" alors que l'ancien paradigme fondé sur un parcours linéaire, éducation de base, puis formation professionnelle puis emploi "est mort". Et cela "nous amène à imaginer un nouveau modèle de société, où les jeunes seraient considérés comme contributeurs de l’avenir en passant par un Service civique obligatoire renouvelé ; où ils seraient protégés jusqu’à leur majorité dans une école obligatoire prolongée à 18 ans, quel que soit leur parcours, suivi d’un revenu universel d’insertion et où l'âge légal de la jeunesse serait repoussé jusqu'à leur trentième anniversaire; et enfin, où les ruptures dans le continuum – éducation, formation, emploi – seraient admises, même valorisées et accompagnées". Pour Claire Bernot-Caboche, la question des "invisibles" nous oblige à nous interroger sur la construction d' "une société plus humaine et plus fraternelle pour toutes les générations".

La thèse "Les jeunes 'invisibles', De l’émergence d’un problème à l’élucidation des conditions de construction de réponses cohérentes", soutenue le 23 mai 2016, sous la direction de Philippe Meirieu, est disponible ici

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