La réciprocité et la coopération pour apprendre, parce qu'apprendre est un phénomène complexe (colloque)
Paru dans Scolaire, Périscolaire, Orientation le vendredi 03 juin 2016.
"Apprends-moi à lire les notes de musique et je t'apprendrai l'alphabet sri lankais..." C'est le genre de petites annonces qui ornent les murs de "l'atelier d'accompagnement éducatif" de Patricia Spielewoy. Ses élèves, principalement venus de l'UP2A (unité pédagogique pour élèves allophones arrivants) du collège Bel-Air de Mulhouse, ouvraient, ce 3 juin, les "rencontres internationales" consacrées à "la force de la réciprocité et de la coopération pour apprendre", organisées pour trois jours à Evry. Ils ont aussi chanté leur hymne, qui a pour refrain "On affiche sur les murs de la classe nos savoirs / Tout ce qu'on sait et tout ce qu'on ne sait pas." Ils illustrent ainsi parfaitement le principe des "échanges réciproques de savoirs", tel qu'ils sont promus par le Foresco et par Claire et Marc Héber-Suffrin (voir ToutEduc ici).
Ils peuvent offrir leurs compétences, échanger les règles du foot contre le théorème de Thalès "sans même savoir parler français". Eux qui sont "en quête permanente de savoirs", ils peuvent dès leur arrivée "prendre leur scolarité en main". Ils découvrent aussi qu'ils ont "le droit à l'erreur", ce qui est "inimaginable" dans certains de leurs pays d'origine, et dès lors, "ils osent demander quand ils ne savent pas" et ils s'approprient beaucoup plus vite les savoirs scolaires, mais aussi extra-scolaires, puisqu'ils participent aussi au "rézo" qu'anime Tina Steltzlen.
"Ce qui manque, c'est l'audace"
Ces échanges ne concernent pas, loin s'en faut, que les scolaires ou les jeunes dans le cadre d'activités 
périscolaires, comme en témoigne Pierrot Amouroux. Avec le réseau "Différent & compétent" qui rassemble des ESAT (établissements et services d'aide par le travail), il propose un dispositif de reconnaissance de compétences de personnes considérées comme déficientes (mais il se garde bien de prononcer un tel qualificatif). Béatrice Barras raconte comment, dans un petit coin d'Ardèche, se sont trouvées, par un jeu de constructions successives et de hasards heureux, "car vous trouvez toujours quelqu'un qui sait ce que vous ne savez pas", toutes les compétences voulues pour la création d'une entreprise coopérative de production de vêtements et de matelas en laine et pour finalement "reconstruire un village sans avoir rien au départ". Philippe Lefevre, médecin, évoque la nécessité d'avoir une estime de soi suffisante en même temps que beaucoup d'humilité pour reconnaître les compétences de l'autre, trouver un langage commun et construire une démarche communautaire en santé. Catherine Chabrun (ICEM - Pédagogie Freinet) souligne l'importance des principes éthiques...
Tous, d'une manière ou d'une autre, présentent les savoirs comme des processus plutôt que comme des acquis. Pour Nicole Desgroppes (Réseaux d'échanges réciproques de savoirs), il s'agit souvent "de passer de l'implicite à l'explicite". André Giordan, universitaire et représentant l'association "Ecole, changer de cap", souligne "la complexité de l'acte d'apprendre", qui ne peut être assimilé à une transmission. Car, selon la formule du sculpeur Jean-Pierre Bocquel, "ce qui manque, c'est l'audace".