Chefs d'établissement : un grand malaise (SNPDEN)
Paru dans Scolaire le jeudi 14 avril 2016.
"Ras-le-bol", "malaise", "apothéose"... Le SNPDEN a réuni la presse ce 14 avril pour évoquer les difficultés des chefs d'établissement. Le syndicat UNSA des personnels de direction a lancé "une alerte sociale" pour dénoncer les carences du dialogue social (ToutEduc ici), comme il l'avait fait en 2006 alors que Gilles de Robien était ministre de l'Education nationale. Il dénonce aussi les défaillances "de la gouvernance" du système scolaire. Ses représentants ont été reçus hier par le directeur de cabinet de Najat Vallaud-Belkacem : "On s'oriente vers la remise en place d'un dialogue social formalisé", avec des réunions "plus d'une fois dans l'année" et sans attendre les situations de crise, vers une remise à plat du système des rémunérations et une nouvelle charte des pratiques de pilotage. En revanche, le groupe de travail sur la création d'un corps unique de l'encadrement, réunissant personnels de direction et inspecteurs ne semble pas avancer. "On ne connaît pas la philosophie du ministère sur le sujet", précise Philippe Tournier, le secrétaire général du syndicat.
C'est aussi l'occasion pour le SNPDEN de faire un tour d'horizon des difficultés que rencontrent ses mandants du fait de la "non-gouvernance" de l'Etat.
Blocages. Le syndicat vient d'être prévenu des violences dont ont été victimes ce 14 avril, la proviseure adjoint et le principal adjoint du collège-lycée Voltaire à Paris, l'un a reçu un coup de poing au visage, l'autre une poubelle et des gravats. "Voltaire est bloqué tous les jours". Mais à Bordeaux, c'est un empilement de poubelles qui est tombé, provoquant une ITT de plusieurs jours. A Tremblay-en-France, la voiture d'un agent a été incendiée. Les violences verbales se comptent "par centaines", les violences physiques "par dizaines" et les incidents locaux sont quotidiens, indépendamment des "journées nationales" de mobilisation. Au total, "un lycée standard parisien" a déjà perdu 10 % des heures de cours du trimestre, sachant qu'après les vacances commencent les épreuves du baccalauréat, et que "la question n'est plus la reconquête du mois de juin, mais du mois de mai". De plus, le DNB a été avancé "d'une semaine", ce qui réduit aussi l'année en collège.
Le mouvement n'a "rien à voir" avec ce qui s'est passé pour le CPE "ou même pour Léonarda". Ni slogans, ni tracts, les "bloqueurs", peu nombreux, arrivent avec des poubelles tôt le matin, et entreprennent d'empêcher les entrées sans débattre avec les lycéens, et sans participer ensuite aux manifestations.
Solitude. Les personnels de direction ont le sentiment d'un "abandon total du problème aux établissements", le ministère et le Premier ministre usant d'euphémismes pour parler de lycées "perturbés". De plus, le SNPDEN se plaint du "silence" et de "l'embarras" des organisations syndicales opposées à la loi "El Khomri" qui ne dénoncent pas ces agissements, voire d'un certain "jeunisme" qui amènerait des responsables politiques ou d'organisations à penser, dans une vision "romantique", que "ce qu'ils font, c'est forcément bien". Le terme "irresponsabilité" n'a pas été prononcé, mais c'est bien de cela dont il s'agit dans l'esprit des responsables qui ont le sentiment que "les organisations de jeunesse ne contrôlent plus rien". Ils doutent de plus de la représentativité et de l'autonomie des syndicats lycéens.
Cigarette. "Qu'on nous dise ce qu'on doit faire, c'est l'apothéose en termes de non-gouvernance." La loi interdit de fumer dans l'établissement scolaire. Les "espaces fumeurs" ont donc été supprimés, ce qui d'ailleurs n'a réduit en rien la consommation de tabac et a facilité la consommation de cannabis puisque les élèves sortent à la récréation dans la rue, et ne sont plus sous le contrôle de l'établissement. "Au lendemain des attentats, nous avons écrit à Manuel Valls pour lui demander ce que nous devions faire dansle cadre de l'état d'urgence. Nous avons reçu deux réponses, une circulaire de l'Education nationale qui évoque des 'zones spécifiques' mais sans dire à quoi elles sont destinées, et une lettre du directeur général de la santé pour qui 'la loi, c'est la loi' et nous n'avions qu'à sevrer les élèves !" Interrogée à la sortie du Conseil des ministres, Najat Vallaud-Belkacem a répondu qu'il fallait dire aux élèves de ne pas fumer. "Surréaliste ! C'est une nouvelle étape qui a été peu appréciée de nos collègues. Certains se retrouvent assignés en justice pour avoir appliqué la circulaire ministérielle et ne reçoivent aucun soutien de leur hiérarchie."
Crédibilité. "Les enseignants ne modifient pas leurs pratiques parce qu'une circulaire a été publiée, mais parce que cette politique est portée par le chef d'établissement. Quand celui-ci explique aux enseignants qu'il faut multiplier les classes bilangues, puis qu'il faut les supprimer, puis qu'il faut les rétablir, il perd toute crédibilité, alors que c'est son seul moyen d'action."
Le raisonnement vaut aussi pour le foulard des mères accompagnatrices de sorties scolaires. Officiellement, la "circulaire Chatel continue de s'appliquer", mais elle est contredite par les propos de la ministre. "De toute façon, quoi qu'on fasse, on est critiqué par l'environnement social. Dans les endroits en tension, on renonce aux sorties."
Pilotage. Aux textes ministériels s'ajoutent les circulaires académiques, "de 100 à 150 pages", par exemple pour l'affectation en fin de 3ème. Les boîtes mails des personnels de direction sont encombrées d'une quantité de courriels d'importance très variables mais qu'ils n'ont personne pour trier, et dont il faut ouvrir à chaque fois la pièce jointe. "On voit réapparaître des prescriptions de détail qui avaient disparu. Le ministère est présent sur le subalterne, et absent sur le champ politique."
Collège. "La rentrée se passera bien", et la réforme ne pose pas de problèmes majeurs. "Beaucoup d'enseignants étaient pré-convaincus" comme l'avait montré la consultation sur le socle commun, mais même eux sont "vent debout" contre, elle provoque "une angoisse professionnelle", et "on n'a pas rassuré les enseignants".
Remplacements. Le SNPDEN n'est pas opposé au fait que les formations des enseignants prennent sur les heures de cours, mais si certaines académies ont fait des efforts en termes d'organisation, d'autres n'en ont fait aucun, et les formations à la réforme laissent les élèves sans aucune prise en charge éducative. "C'est un sujet qui n'intéresse plus."
Lycées professionnels. Le syndicat est inquiet de la circulaire qui prévoit une possibilité de réorientation des élèves à la Toussaint. "Les élèves en difficulté seront dans l'idée qu'ils vont pouvoir partir, or très peu d'entre eux obtiendront satisfaction. Ils auront été déçus deux fois, au moment de leur affectation et au mois de novembre. Cette mesure anti-décrochage risque d'accentuer le décrochage."