Lancement d’une année de débat sur l’enseignement agricole et le bac pro (Snetap-FSU)
Paru dans Scolaire, Orientation le vendredi 25 mars 2016.
"Qui n’en veut, pas moi !", s’est exclamé, en paraphrasant Les Deschiens, Fabienne Maillard, sociologue et professeur à Lille-III, lorsqu’elle a évoqué les poursuites d’études des titulaires du Bac Pro dans l’enseignement supérieur. Elle intervenait dans le cadre de la journée de lancement de "L’année Bac Pro" organisée, le 24 mars à Paris, par le Syndicat national de l’enseignement technique agricole public (Snetap-FSU).
Pour Jean-Marie Le Boiteux, son secrétaire général, cette journée devait marquer "le début d’un débat qui se poursuivra toute l’année en région sur la réforme de la voie professionnelle agricole et notamment le Bac Pro en 3 ans". Le Snetap, qui demande le retour du Bac Pro en 4 ans (2 années de BEPA et 2 années de Bac pro), fait état de "remontées de terrain accablantes". Constatant "la baisse de niveau des élèves et leurs problèmes d’insertion professionnelle du fait de leur plus jeune âge", Jean-Marie Le Boiteux affirme que "tant sur le fond que sur la forme, la réforme de la voie professionnelle conduit à l’impasse. C’est un échec. Il faut impérativement dresser un bilan et prendre de nouvelles mesures".
Un baccalauréat comme les autres ?
Au-delà du Bac pro dans l’enseignement agricole, Fabienne Maillard s’est interrogée plus généralement sur le Bac pro : "Entre 1985, date de sa création, et aujourd’hui, que s’est-il passé ? Est-il devenu un baccalauréat comme les autres ?". Revenant sur l’historique du diplôme, elle a rappelé qu’au début, "c’était un diplôme professionnel qui devait déboucher sur la vie active, un diplôme que beaucoup de chercheurs considéraient comme un leurre, un faux bac, un diplôme ouvrier qui n’avait rien de plus qu’un CAP… Et puis, le ministère a tout fait pour susciter l’engouement des élèves et de leur famille, de 20 spécialités, on est passé à 50 pour arriver à 100 aujourd’hui".
"On a créé une quantité de bac pro dans des secteurs comme la bureautique alors qu’on savait que ce secteur ne recrutait pas…", poursuit la sociologue. "Et, progressivement, au milieu des années 2000, on a dit que la voie professionnelle coûtait trop chère, qu’elle était peu efficiente, qu’il y avait trop de diplômes, trop de spécialités, trop de décrochage, trop d’enseignants… Alors, on a supprimé le BEP, on a créé le Bac pro en 3 ans et du même coup, on est arrivé aux 80% au niveau du bac. Le Bac pro est devenu le 2e bac de France !".
Des élèves en souffrance
"Et maintenant, on se retrouve, avec des élèves qui souhaitent majoritairement poursuivre des études au-delà du bac et dont les formations du supérieur ne veulent pas", conclut la sociologue. "Les IUT n’en veulent pas, on crée des quotas pour les Bac pro en STS mais elles n’en veulent pas non plus, on imagine un BTS bis, une licence en quatre ans mais ça ne marche pas ! Il faudra bien aboutir à une réforme…".
Vincent Troger, maître de conférences en sciences de l’éducation à Lille-III et cofondateur de la revue "Sciences humaines", s’inquiète lui-aussi. Il a mené une enquête entre 2009 et 2013 auprès des élèves et de leur famille sur les effets du Bac pro en 3 ans : "La première conséquence, c’est la demande de poursuite d’études de la part des élèves comme de leur famille. En BTS, les élèves souffrent mais ils sont fiers d’avoir un bac. Ils ont du mal à être autonomes, ils souffrent de la concurrence, voire du mépris des élèves qui viennent d’autres séries, ils trouvent que ça va trop vite et du coup 20% d’entre eux échouent". Il constate : "Côté prof, cette réforme a été très violente. Ils reçoivent en seconde des élèves très jeunes, peu adaptés à l’enseignement professionnel, aux stages, à la vie en entreprise… Les professeurs de lycées professionnels ont beaucoup d’empathie pour leurs élèves et ils craignent que les choses s’aggravent".
Colette Pâris