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La laïcité en débat lors du colloque de l'AFAE

Paru dans Scolaire le mercredi 23 mars 2016.

L'AFAE avait choisi pour thème de son colloque, après les attentats de l'an dernier à Paris, "Laïcité, intégration, éducation : la République et son école". L'Association française des acteurs de l’éducation a donc débattu, selon les mots de son président Daniel Auverlot d'une "ambition collective", sans "nostalgie défensive". Voici des échos des prises de parole à Nîmes, du 18 au 20 mars.

Pour Jean Baubérot (EPHE), la loi de 1905 est mal connue au-delà des trois premiers articles, et il ne faut pas "confondre laïcité et gallicanisme", ce deuxième terme évoquant un contrôle de la religion par le politique. Il ne faut pas non plus confondre une "laïcité tonitruante" avec une laïcité calme qui relève d’une construction sociale. La laïcité est un équilibre. Une "laïcité intelligente", pour reprendre les termes de Régis Debray, met l'accent sur la liberté de conscience et la neutralité qui est à son service. 

Mais, souligne Christophe Prochasson (historien, conseiller de F. Hollande), "il n’y a pas de transmission des valeurs sur un mode analogue à la transmission de connaissances. Cela passe par des démarches plutôt horizontales, alors que les partisans du ‘modèle républicain’ se situent plutôt dans une transmission verticale du lien social. Il faut offrir des espaces symboliques où dialoguent les différences" et "retrouver l’énergie des fondateurs de la République dans le cadre d’une culture partagée qu’il nous reste à construire".

Il stigmatise une "défense républicaine qui véhicule une imagerie brandie de manière incantatoire". il distingue trois tendances historiographiques : d’abord celle d’un "modèle républicain" constitué autour d’un "halo émotif", d’une "statuomanie", d’une "laïcité indiscutable" ; puis celle qui critique cette "culture de la généralité", ce "monisme pathologique de la République", cette "République abstraite qui opère un déni des personnes" ; enfin, celle qui préfère les enquêtes empiriques et qui vise à "redonner aux valeurs toute leur épaisseur". Les valeurs ? "Ni un monde enchanté, ni un monde noir". "Nous prenons congé des mythologies du siècle dernier". L’histoire de la laïcité a bien des significations, mais "c’est d’abord un principe d’organisation barrant la route à toute absolutisation de la croyance, qu’elle soit religieuse ou politique".

Armande Le Pellec-Muller, rectrice de l’académie, insiste sur la nécessité pour l’école de "sortir de l’émotion", de "revenir à des pédagogies qui permettent à l’élève de prendre des initiatives, de vivre des interactions sociales, des occasions d’exercer sa citoyenneté" et de "réfléchir à un plan stratégique avec tous les partenaires". Gérald Chaix, ancien recteur insiste aussi sur la nécessité de "concilier l’aspiration à l’unité et le respect de la diversité, assumant la tension entre la liberté de chacun et l’égalité de tous".

Regards croisés sur la laïcité

Le père Bertrand Lacombe, vicaire général du diocèse de Montpellier, dit l’attachement de l’Église à la laïcité et il est favorable à une présentation non confessionnelle des religions à l’École. Pour Mohamed El Mahdi Krabch, imam d’Avignon et chercheur à l’Université d’Aix-Marseille, "la laïcité est un cadre qui protège la croyance et la non-croyance. C’est une philosophie moderne qui accepte la diversité." Il milite pour porter la laïcité au Monde musulman, pensant à la guerre entre sunnites et chiites. "Le problème, à l’École, vient du fait …que le fait religieux n’a pas été traité à l’École." Pour Michel Miaille, président de la Ligue de l’enseignement de l’Hérault et professeur de droit, la laïcité n’est pas une valeur, mais un principe d’organisation de la République qui se décline en deux sous-ensembles : la liberté de conscience présente dans tous les Etats européens, et la séparation complète de l’État et des religions.

Le général Pierre Gillet, commandant de la 6ème brigade légère blindée, décrit une "laïcité apaisée" au sein de l’armée alors que se côtoient 150 nationalités dans la Légion. Certes il y a un renouveau du religieux, mais la valeur suprême est la cohésion. Tout repli identitaire en est le contraire, les valeurs militaires étant tournées vers le collectif, et la notion de respect va au-delà de la notion de droits. Pour Christine Girier-Diebolt, directrice du centre hospitalier de Saint-Gaudens, "la laïcité se vit bien" à l’hôpital. Seul le respect de la laïcité permet aux femmes d’être bien soignées. Il faut "éviter le choc des ignorances et l’échec des émotions", et pour ce faire, un guide pratique sur la laïcité vient d’être diffusé. Selon Pierre Valleix, procureur général près la Cour d’appel de Montpellier, la justice a pris ses distances très tôt avec la religion. Le Code civil ne contient pas une ligne sur la religion. Le principe de neutralité s’applique à tous, y compris aux avocats. Quant aux jurés d’assise, un article prévoit qu’ils doivent prêter serment "debout et découvert" : donc pas de couvre-chef ou de voile au moment du serment.

Des aumoniers humanistes

Pour Jean Baubérot, "l’enseignement des faits religieux doit s’intégrer à une formation au symbolique, y compris en dehors des religions". Il suggère des aumôniers humanistes. Christine Girier-Diebolt recrute des "aumôniers qui ont un rôle de médiateur et de modérateur". Le général Pierre Gillet parle du "triple rôle des aumôniers : accompagnement humain post-traumatisme, rôle cultuel et rôle de conseil vis-à-vis du chef".

A l’étranger, Jean-Christophe Deberre, directeur général de la Mission laïque française relève "deux moteurs" dans les établissements scolaires : les élèves manient souvent trois langues, ce qui favorise une "grande agilité intellectuelle", et le numérique qui est vecteur de curiosité et d’une amorce de travail collectif. L’enseignement du fait religieux est possible dans les pays où l’État a organisé la séparation entre l’espace public et l’espace privé.

Julia Ipgrave, correspondante de l’IESR à l’université de Roehampton (Londres), rapporte qu'on emploie au Royaume-Uni la nouvelle expression de "Community cohesion": ne pas se replier sur sa communauté mais apprendre à se connaître. L’éducation religieuse contribue au développement du respect et du dialogue entre les communautés, au moment où "nous vivons des temps inconfortables et incertains".

Xavier Delgrange, de l’Université libre de Bruxelles parle de la laïcité "comme d'une religion sans dieu", une laïcité philosophique et non politique, reconnue dans la constitution révisée en 1993, subventionnée au même titre que le bouddhisme.

De l’aggravation de la ségrégation sociale et scolaire

Catherine Moisan, ancienne directrice de la DEPP (le service statistique de l'Education nationale) considère la ségrégation scolaire comme une séparation illégitime. Elle évoque "la longue marche vers le collège unique" : la fin réelle des classes de fin d’étude décrétée en 1960 mais réelle en 1972, la fin réelle des filières en 6è-5è en 1978, des CPPN en 1993, des 4è-3è techno en 2005… L’enquête PISA nous apprend que "nous sommes le pays du grand écart entre élèves", et "le plus inéquitable de l’OCDE". Sur 7075 collèges, 700 accueillent 62% de collégiens d’origine sociale défavorisée tandis que 700 scolarisent 42% de collégiens d’origine très favorisée. Pour elle, "le problème de fond est la notion de mérite républicain. L’unification du collège a produit encore plus d’idéologie méritocratique". Et d’interroger : "Que voulons-nous construire et trier : une élite étroite qui se reproduit ?"

L'AFAE exerce une magistrature d'influence

Interrogé par ToutEduc, Daniel Auverlot estime que l'AFAE exerce aujourd'hui "une véritable magistrature d’influence sur toutes les questions d’éducation". Encore faut-il qu'elle parvienne à se développer "dans un contexte où le bénévolat demande beaucoup d’efforts à tout le monde". Son objectif, dans les années qui viennent, est de continuer de "peser sur le débat intellectuel en matière d’éducation", mais aussi d'être reconnue "comme opérateur de formation continue du ministère". Pour lui, ce colloque "incluant des apports théoriques, des comparaisons avec les autres administrations, les autres services publics et des systèmes éducatifs voisins, des réflexions avec les religieux et les laïcs" et marqué par la conférence du conseiller en charge de l’éducation à l’Élysée, historien, sur les fondements de la République et leur actualisation, "a été un fabuleux moment".

Arrivé au terme de son mandat, il n'est pas candidat à sa succession. Il a présenté son bilan avec la publication de la 13ème édition du Système éducatif français et son administration pour la première fois en bimedia, quatre numéros de la revue Administration & Éducation, le lancement des Numeryades en Région...

 

Claude Baudoin

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