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MIE à Calais : le sens de la décision de la Haute Cour britannique pour les mineurs isolés étrangers (A. Legrand)

Paru dans Petite enfance, Scolaire, Périscolaire, Justice le lundi 07 mars 2016.

Le camp de la Lande, couramment appelé "jungle de Calais", est sous les feux des projecteurs. Il occupe aussi l’agenda des tribunaux. Les media ont ainsi largement rendu compte des audiences tenues au tribunal administratif de Lille concernant la demande de référé, déposée par 250 migrants et dix associations et visant à obtenir la suspension de l’arrêté préfectoral ordonnant aux occupants de la zone sud du bidonville de quitter les lieux, pour permettre la démolition des installations qui s’y trouvent.

La méthode d’instruction avait suscité une certaine curiosité, dans la mesure où la juge des référés avait opéré une descente sur les lieux, pour se faire une idée de la situation et dénombrer les migrants présents. Dans son ordonnance, rendue le 25 février 2016, la juge a estimé que le principe de l’évacuation répondait à un objectif d’ordre public et que sa réalisation était de nature à améliorer les conditions d’accueil des migrants ; elle avait donc donné le feu vert à l’exécution de la mesure, à condition toutefois qu’elle ne porte pas sur les "lieux de vie" (lieux aménagés de manière pérenne pour offrir aux occupants des services à caractère social ou culturel : lieux de culte, école, bibliothèque, théâtres, espace d’accès au droit, espaces d’accueil des femmes et des enfants ou des mineurs) qui répondent à un réel besoin des exilés.

326 MIE

L’un des soucis principaux, à Calais comme dans l’autre zone sensible de l’Europe, situé à la frontière gréco-macédonienne, concerne la présence de nombreux mineurs isolés. Leur nombre a été estimé à 326 à la Lande. La juge des référés a rejeté les arguments spécifiques les concernant, motif pris de ce qu’il ne résultait pas de l’instruction que leur maintien dans la zone sud du camp serait de nature à améliorer leur prise en charge.

Mais d’autres décisions juridictionnelles avaient déjà traité de la situation de ces mineurs installés dans la jungle. En particulier, une ordonnance de référé rendue par le Conseil d’Etat le 23 novembre 2015 avait confirmé celle rendue le 2 novembre précédant par le TA de Lille enjoignant au préfet du Pas-de-Calais de procéder, dans les plus brefs délais, au recensement des mineurs isolés en situation de détresse et de se rapprocher du département en vue de leur placement. L’objectif de cette injonction était de permettre une prise en charge rapide de ces mineurs par les services de l’aide sociale à l’enfance. (La même ordonnance imposait par ailleurs la prise de mesures spécifiques destinées à améliorer les conditions d’accueil : mise en place de points d’accès à l’eau potable, installations de toilettes, mise en place d’un service de ramassage d’ordures ou créations de routes internes à la zone pour faciliter l’intervention des services d’urgence). Quelques semaines après, une nouvelle ordonnance du TA de Lille, du 11 février 2016 examinait la situation d’une fratrie souhaitant rejoindre leur mère au Royaume-Uni et demandant une protection internationale dans le cadre de ce qu’on appelle la "Procédure Dublin". Le juge a rejeté la requête en constatant que les démarches nécessaires à la désignation de l’administrateur ad hoc chargé de représenter les requérants dans leur demande de protection internationale avaient été prises par la préfecture postérieurement à l’enregistrement de la requête et que celle-ci était devenue sans objet.

DUBLIN I, II et III

C’est dans une affaire du même type que vient d’intervenir un arrêt de la Haute Cour de Justice du Royaume-Uni (Chambre de l’asile et de l’immigration), rendu le 29 janvier 2016. Outre son intérêt intrinsèque, il présente aussi celui de nous permettre de disposer d’appréciations de juges anglais sur la politique française d’accueil des migrants. La Haute Cour était en particulier saisie du cas de quatre jeunes Syriens (trois mineurs et un majeur atteint de troubles psychiatriques) qui cherchaient à rejoindre leur famille au Royaume-Uni. Leur demande avait été rejetée par le Secrétaire d’Etat à l’Intérieur anglais : ce dernier estimait qu’elle n’avait pas respecté la procédure mise en place par le règlement européen "Dublin III".

Dans le cadre de la procédure Schengen, les règlements européens dits "Dublin I, II et III" fixent les critères et les mécanismes permettant de déterminer l’Etat responsable du traitement des demandeurs d’asile dans l’espace "Dublin" (Union Européenne, plus Islande, Norvège et Suisse). Il s’agit d’éviter qu’un demandeur d’asile choisisse son pays d’accueil ou fasse des demandes d’asile multiples dans l’UE. La procédure Dublin est née en même temps que l'espace de libre circulation en Europe : en vertu du règlement Dublin II du 18 février 2003, en principe, le pays responsable de l’examen est celui qui a laissé entrer, volontairement ou involontairement, le demandeur d'asile. Si ce dernier se trouve dans un autre Etat, il devra être renvoyé vers le premier Etat traversé.

De nombreuses difficultés pratiques

S’agissant des mineurs isolés, cependant, l’État membre responsable devient celui dans lequel un membre de la famille ou les frères ou sœurs du mineur non accompagné se trouvent légalement, pour autant que ce soit dans l’intérêt supérieur du mineur (article 8 du règlement Dublin III du 26 juin 2013). Dans ce cadre, la procédure de réunification familiale doit commencer par le dépôt d’une demande d’asile auprès de l’Etat sur le territoire duquel le mineur se trouve. Ce n’est qu’après ce dépôt que ce dernier peut adresser une demande de prise en charge par l’Etat responsable et cette demande doit être acceptée par ce dernier pour qu’un ordre de transfert, permettant au demandeur de rejoindre cet Etat, soit émis.

La Haute Cour relève les nombreuses difficultés pratiques que cette procédure entraîne, notamment dans le cadre de la France. D’abord, les mineurs étrangers non accompagnés n’y ont pas compétence pour déposer une demande d’asile. Cette demande, souligne le juge britannique, doit être formulée par une agence spécifique financée par l’Etat, suivie par la nomination d’un représentant, c’est-à-dire d’une personne  désignée par les instances compétentes, afin d’assister et de représenter le mineur non accompagné au cours des procédures et d’accomplir des actes juridiques en son nom. Or, même si des conseils juridiques bénévoles ont été mis à la disposition des mineurs isolés, ils restent limités et l’information circule mal. Certes, ajoute la Haute Cour, "l’attitude de l’Etat français à l’égard des mineurs non accompagnés est plus bienveillante que ce que pourrait exiger n’importe quelle législation européenne". La loi n’impose pas aux enfants étrangers sur le territoire français une quelconque forme de permis de séjour et la politique du gouvernement est de les tolérer jusqu’à ce qu’ils atteignent leur majorité. "L’affirmation selon laquelle ces personnes devraient être autorisées à résider sur le territoire français et disposer d’un droit de séjour provisoire jusqu’à leur dix-huitième anniversaire donne davantage que ce qu’ils obtiendraient au Royaume-Uni ou dans de nombreux Etats membres de l’UE", en particulier en termes d’avantages sociaux. Mais, ajoute-t-elle, les difficultés administratives liées à une demande d’asile en France peuvent éloigner les enfants de la possibilité de bénéficier du regroupement familial : les procédures sont longues et compliquées et "les demandes de prise en charge par un autre Etat membre sont insusceptibles de voir le jour avant que ne se soit écoulée une année depuis le début de la procédure".

 Une violation sérieuse et manifeste du droit à ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants

Dans ces conditions, la Haute Cour a estimé que la décision du Secrétaire d’Etat à l’Intérieur, fondée sur une application rigoureuse des mécanismes de Dublin III portait, s’agissant des quatre requérants ci-dessus mentionnés, une atteinte disproportionnée au droit à une vie familiale normale garanti par la Convention européenne des droits de l’Homme. Certes, le droit de l’Etat d’imposer un contrôle effectif des admissions d’étrangers sur son territoire présente un intérêt public majeur. Mais, même si les quatre personnes concernées n’avaient pas le statut de demandeurs d’asile, les considérations liées à leur âge, au handicap mental de l’un d’entre eux, aux troubles psychologiques que provoque leur situation actuelle, à l’ancienneté de leur vie familiale dans leur pays d’origine, au caractère totalement inadéquat de l’alternative que représenterait leur maintien dans la jungle de Calais justifient une dérogation aux procédures prévues dans le règlement Dublin III. Citant en particulier une des ordonnances de référé du TA de Lille, la Haute Cour rappelle que les conditions de vie dans la jungle exposent la population du camp "à des risques sanitaires" et constituent une "violation sérieuse et manifeste de (ses) droits à ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants".

Là où il devrait se livrer à un examen cas par cas, conclut-elle, le Secrétaire d’Etat britannique a procédé à une évaluation généralisée et globale, sans rapport avec les circonstances individuelles, les besoins et les arguments des défendeurs.

La Haute Cour ordonne donc au Secrétaire d’Etat à l’Intérieur d’admettre immédiatement les quatre requérants au Royaume-Uni et de leur permettre de rejoindre leurs familles en attendant que leur demande d’asile soit examinée. La décision est importante, dans la mesure où c’était la première fois qu’un juge britannique avait à statuer sur une demande concernant des mineurs isolés. Et il est probable que le démantèlement de la zone sud de la jungle de Calais redonnera une forte actualité à ce type de question.

 

 

 

André Legrand

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