Comment pensent ceux qui cherchent à penser l'école "autrement" ? (ouvrage collectif)
Paru dans Scolaire le jeudi 25 février 2016.
Ce que certains appellent "pensée critique" permet-il de comprendre la "pensée des enseignants" lorsqu'ils se situent "à gauche" et cherchent à "penser l'éducation ou l'école autrement" ? C'est à cette question que tentent de répondre André D. Robert (Lyon-II) et Bruno Garnier (Université de Corse) avec une quinzaine d'universitaires, le plus souvent en sciences de l'éducation. Ils dépeignent ainsi les difficultés et les combats, parfois fratricides, de ceux qu'ils se gardent bien d'appeler "les pédagogues". La question est philosophique, si on se souvient que le pragmatisme d'un J. Dewey a longtemps été ignoré en France, "parce qu'antithétique avec les fondements de la pensée ferryste de l'école". Elle est aussi historique, quand on s'interroge sur le mouvement Freinet, mais l'histoire est très contemporaine lorsqu'on s'intéresse aux "instituteurs maquisards" qui ont mis en oeuvre entre 1960 et 1980 "des pratiques alternatives" et ont développé, notamment avec le GFEN de Robert Gloton, "une pensée critique de l'école au sein même de l'institution". On peut dès lors s'interroger : "l'idée d'une école qui participe à la déscolarisation de l'école est peut-être, au fond, à des degrés divers de radicalité, l'horizon de toute pensée critique enseignante sur l'école."
Henri-Louis Go, qui raconte "les deux créations de l'Institut Freinet de Vence", nous rappelle combien furent douloureuses les relations du pédagogue avec le Parti communiste, et avec plusieurs des militants de l'ICEM qu'il avait créé, pour des raisons politiques, mais aussi pour d'autres, qui tiennent aux personnalités de Célestin et d'Elise, et à leur engagement dans le mouvement naturiste, qu'évoque Xavier Riondet... Michaël Attali et Luc Robène s'intéressent à la figure de Jean-Marie Brohm et à sa critique radicale de l'EPS (éducation physique et sportive) et du rôle social du sport dans les sociétés contemporaines. Bruno Poucet montre comment a évolué Antoine Prost, pour qui "la réforme est là où on ne l'attend pas toujours : elle se situe dans une subtile dialectique entre la confiance donnée aux acteurs et les décisions prises par les autorités". Car dans ce va et vient entre le haut et le bas, ne faut-il pas se méfier des mots, et d'expressions comme "école unique", "communauté éducative", "égalité des chances", autant de principes "d'abord lumineux" qui perdent progressivement de leur substance avant de devenir des lieux communs et de charrier "des aspirations diverses et parfois contradictoires".
La pensée critique des enseignants, éléments d'histoire et de théorisation, sous la direction d'A-D Robert et de B. Garnier, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 286 p., 19 €