Élèves en situation de handicap : "Éduquer tous les enfants ensemble" (Cnesco)
Paru dans Petite enfance, Scolaire, Périscolaire le vendredi 12 février 2016.
"La France est au milieu du gué. D'un côté, des progrès très importants ont été effectués depuis dix ans, notamment depuis la loi de 2005. De l'autre, il reste des lacunes graves et de fortes disparités territoriales", déclare Nathalie Mons, présidente du Cnesco, hier 11 février, lors de la présentation des préconisations issues de la conférence de comparaisons internationales sur "l’École inclusive pour les élèves en situation de handicap" (qui s'est tenue les 28 et 29 janvier à Sèvres).
Aujourd'hui, 53% des enfants handicapés sont scolarisés en milieu ordinaire (dont 24% en classes spécialisées), un taux qui a doublé depuis 2004. Mais la scolarisation en établissements spécialisés, elle, est restée stable. Pourquoi n'a-t-elle pas baissé en parallèle ? "De plus en plus de familles revendiquent le handicap pour leur enfant et de plus en plus d'élèves sont 'labellisés' comme étant en situation de handicap", explique Nathalie Mons. Au total, les handicaps intellectuels et cognitifs concernent la moitié des élèves scolarisés en milieu ordinaire, tandis que les handicaps physiques et psychiques restent minoritaires. En termes d'accessibilité, 25% des écoles construites depuis 2008 respectent les critères requis.
Deux fois moins de lycéens que de collégiens
"Plus l'enfant grandit, moins il a de chance d'être scolarisé en milieu ordinaire", déplore Nathalie Mons. Ainsi, il y a quatre fois moins de jeunes en situation de handicap scolarisés au lycée qu'au collège. Même en cas de handicap physique, on dénombre deux fois moins de lycéens que de collégiens. Ces lycéens se retrouvent surtout dans l'enseignement professionnel et seuls 4% des jeunes handicapés mènent des études supérieures. Ils sont ensuite davantage touchés par le chômage.
Autre constat qui interroge : deux tiers des jeunes en situation de handicap sont des garçons. Les filles représentent 40% des élèves ayant des troubles physiques (moteurs, visuels, auditifs), mais seulement 16% de ceux avec des troubles cognitifs. "Les garçons, plus que les filles, se retrouvent en situation de handicap à cause d'éléments comportementaux", précise Nathalie Mons. On observe également une surreprésentation d'enfants issus de familles défavorisées (60%). Interrogée par ToutEduc sur l'hypothèse d'une médicalisation de l'échec scolaire, la chercheuse confirme que dans certains cas, les enseignants orienteront un enfant en difficulté vers un orthophoniste par exemple.
À noter, à l'âge de huit ans, un enfant handicapé sur dix se déclare mal à l'aise à l'école, alors que les parents se disent en grande majorité (84%) très ou assez satisfaits de l'enseignement.
Éduquer tous les enfants ensemble
Quelles sont les préconisations du Cnesco à l'issue de la conférence de comparaisons internationales sur ce thème ? "Le premier défi, c'est l'accessibilité", souligne Agnès Florin, membre du comité d'organisation de la conférence et professeur émérite de l'université de Nantes. Elle remarque qu'il faut aussi poser la question des transports scolaires. Tous les établissements doivent pouvoir accueillir la multiplicité des élèves.
"La France est extrêmement marquée par un modèle médical, de compensation", enchaîne Nathalie Mons. Objectif recommandé par le Cnesco : développer un deuxième modèle tourné vers "l'éducation inclusive", en vigueur dans plusieurs pays (Islande, Italie, Portugal, Norvège). En Italie par exemple, au moins 90% des enfants handicapés sont scolarisés dans une classe ordinaire. Quel est le concept de l'éducation inclusive ? "Il y a une diversité d'individus différents et les élèves en situation de handicap ne seraient que des figures de cette diversité, explique Nathalie Mons. On s'intéresse moins au diagnostic en termes de troubles qu'aux besoins en matière éducative."
Dans cette logique, le Cnesco préconise d'éduquer tous les enfants ensemble en éliminant les barrières physiques et en généralisant les outils numériques nomades (tablettes, logiciels...). "Il ne s'agit pas de donner une prothèse supplémentaire, mais l'enseignant va pouvoir faire son cours à travers le numérique", explique Nathalie Mons. Il convient aussi de former les élèves à la question du handicap et d'étendre le projet personnalisé de scolarisation (PSS) au temps périscolaire.
Mutualiser les pratiques
Autre recommandation : prévoir dans chaque établissement une personne-ressource, un enseignant volontaire capable de "nourrir l'équipe" sur le plan pédagogique. La mise en place d'une base de données sur les outils pédagogiques permettrait de mutualiser les pratiques. Dans cet esprit, la diversité des méthodes pédagogiques "doit être encouragée". Les enseignants doivent aussi être formés à l'évaluation des enfants handicapés. La formation initiale et continue peut jouer les leviers pour faire avancer ce concept d'une diversité d'enfants plus large accueillis à l'école.
Aujourd'hui, il manque "un choc de simplification", résume Nathalie Mons au sujet de la multiplicité des acteurs. Le Cnesco suggère d'aller vers "un système unifié de scolarisation des jeunes en situation de handicap" en faisant entrer tous les élèves handicapés à l'école. Pour cela, il préconise des classes spéciales avec des équipes médico-sociales au sein du cadre scolaire, plutôt que des établissements extérieurs. Dans ce cadre, les centres médico-sociaux, eux, pourraient jouer le rôle de "centres de ressources et d'irrigation".
Diane Galbaud