Le foulard à l’école : la Suisse prend position (une analyse d'A. Legrand)
Paru dans Scolaire le lundi 08 février 2016.
Le Tribunal fédéral suisse, l’autorité judiciaire suprême de la Confédération, chargée en particulier de la protection des droits constitutionnels des citoyens, vient, pour la première fois de se prononcer directement sur la question du port du voile à l’école par les élèves. Le 11 juillet 2013, il avait déjà donné satisfaction à une écolière de Bürglen et annulé une mesure d’interdiction prise par les autorités de l’école, mais il n’avait pas pris parti sur le fond. Confirmant l’arrêt du tribunal administratif de Thurgovie, il s’était contenté de constater que l’interdiction du port du foulard constituait une ingérence dans la liberté religieuse des écolières et qu’elle nécessitait donc une loi au sens formel. La commune scolaire ne disposant pas d’une telle base légale, l’interdiction était sans fondement.
A l’inverse, le Tribunal tranche sur le fond dans son arrêt du 11 décembre 2015, dans une affaire pourtant similaire à la précédente. Il faut dire qu’entre temps, certains incidents s’étaient produits, en particulier dans le canton de Saint Gall, et que plusieurs tentatives de lancement d’initiatives tendant à organiser des référendums pour interdire le port du foulard à l’école s’étaient développées au Valais, en Thurgovie et à Saint Gall. En revanche, une directive genevoise reprise par la Conférence romande des directeurs de l’instruction publique autorise le port du voile par les élèves qui respectent les règles concernant en particulier l’organisation des cours. En tout cas, avec la décision du 11 décembre 2015, la Suisse rejoint le camp des pays qui admettent le port du foulard à l’école.
Un règlement d'interdiction
Dans la commune de St Margrethen, une écolière de 14 ans portait le hijab depuis août 2013. La commune scolaire avait alors édicté un règlement d’interdiction. Saisi d’un recours des parents, le tribunal administratif de Saint Gall avait annulé cette disposition. Le Tribunal fédéral confirme cette position, en estimant que l’interdiction du foulard ne garantit pas un enseignement efficace. Elle va en outre à l’encontre des buts d’intégration de l’école, en ayant pour effet de soustraire l’élève à la scolarité obligatoire.
L’interdiction constitue une atteinte grave à la liberté religieuse ; elle doit donc répondre à un intérêt public pertinent ou prépondérant et respecter le principe de proportionnalité ; en l’espèce, rien n’indiquait que des tensions justifieraient l’interdiction.
Interdiction pour les enseignantes
L’un des juges s’étant prononcé pour le rejet de l’interdiction a cependant indiqué que la position du Tribunal ne s’appliquait qu’au hijab et ne concernait pas d’autres signes religieux. On rappellera aussi que le Tribunal avait interdit, le 12 novembre 1997, à une enseignante de Genève de porter le voile en cours, le port d’un symbole religieux fort par des enseignants étant incompatible avec la laïcité et la neutralité idéologique des écoles publiques
Il restera aussi à regarder les réactions éventuelles des responsables politiques ou celles des citoyens dont on rappellera qu’ils disposent en Suisse de moyens efficaces de faire évoluer la législation (initiative populaire et/ou referendum).
André Legrand