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Le fait religieux à l’École : une affaire complexe et nécessairement collective (journées de l'IFE)

Paru dans Scolaire le mercredi 10 février 2016.

Peu de recherches empiriques, mais beaucoup de prescriptif. Des pratiques de professionnels confrontés aux injonctions successives de l’institution et à des questions d’éthique. C'est ce qui ressort de la formation organisée à l'IFE-ENS les 1 et 2 février 2016 par Lyon-II sur "Le fait religieux à l’École". Elle fait suite au colloque international de novembre 2013 "les religions à l’École : pureté des principes, hybridation des pratiques?". Françoise Lantheaume (Lyon-II) en était l'organisatrice et répond aux questions de ToutEduc: 

Françoise Lantheaume : Par rapport au colloque de 2013, ce qu’on ressent beaucoup, ce sont des professionnels (professeurs, CPE, personnels d’encadrement, autres fonctionnaires, élus…) très concernés, très impliqués, très avides de connaissances, d’échanges avec des chercheurs ou avec d’autres collègues, très demandeurs de formation, avec la volonté d’agir au mieux, de trouver l’action la plus juste, de trouver le cadre, les limites, l’efficacité. Ils ont pleinement conscience qu'ils s'inscrivent dans des contextes à chaque fois différents et qu'ils doivent trouver collectivement les solutions.

Ils font aussi face à des conceptions divergentes de la laïcité. C’est un élément qui perturbe, la multiplicité des débats n’aide pas toujours des professionnels qui ont eux-mêmes à se situer. Mais si on dit que la laïcité fait partie de notre culture et de la démocratie, que nous devons pouvoir débattre des fondements de notre "vivre ensemble", dont la laïcité fait partie, on évite de se sentir agressé dès que quelqu’un vient remettre en cause la laïcité.

ToutEduc : N’y-a-t-il pas, pour les enseignants, un manque de formation sur l’histoire de sa propre discipline, scolaire et universitaire ?

Françoise Lantheaume : C’est évident ! Un manque de connaissances de l’histoire de sa discipline, mais aussi de l’histoire de l’enseignement du fait religieux. Il faut aussi voir que, dans une classe, le même fait peut être interprété comme un problème d’apprentissage, une difficulté d’apprentissage, là où un autre va dire que c’est un problème religieux. D’où l’importance de l’approche collective.

Voici des échos des thèses soutenues par les divers intervenants

Pour Jacqueline Gautherin (Lyon-II), les lois ne font pas disparaître les tensions et elles ne résolvent pas toutes les incertitudes. Dans les deux premiers articles de la loi de 1905, faut-il mettre l'accent sur liberté de conscience ou sur non-reconnaissance des cultes ? Dans la loi de 2004, qu’est-ce qui est ostensible ?

Mathilde Philip-Gay (Lyon-III) estime que la laïcité à l’École a été déterminante pour l’apparition de la laïcité dans la société, et elle distingue les espaces communs et les espaces particuliers, l’école étant un espace public spécifique. Elle rappelle que la Cour européenne des Droits de l’Homme a validé la laïcité française, y compris la la loi de 2004. En ce qui concerne les enseignants, ce sont des agents publics auxquels s’applique le statut de la fonction publique : stricte neutralité, pas de signe distinctif, même discret. Mais s'agissant des parents, ont-ils un statut de collaborateur occasionnel du service public avec obligation de neutralité ? Un jugement du tribunal administratif de Nice (9/6/2015) rappelle qu’on doit motiver une décision de refus,  et le TA d'Amiens (15/12/2015) juge que les parents ne sont pas tenus à une obligation de stricte neutralité, sauf à motiver le refus de les voir accompagner une sortie scolaire.

Une approche philosophique

Pour Philippe Foray (Université Jean Monnet, Saint-Etienne),  les religions font partie du patrimoine mondial de l’humanité, mais sans aucun privilège et l'Ecole laïque traite les religions comme des objets de connaissance, parmi les objets scolaires. Elle doit enseigner qu’il y a une différence de nature entre un discours scientifique et un discours religieux, et qu'il n’y a pas d’équivalence, par exemple, entre un discours évolutionniste et un discours créationniste. Certes, il faut enseigner les religions "dans toute la profondeur de leur signification" pour reprendre l'expression de Paul Ricoeur, mais il faut rester conscient d’une limite : le devoir de réserve.

Jacqueline Costa-Lascoux (CNRS) n’aime pas beaucoup le terme "radical" pour désigner un "jeune sous emprise". Elle décrit un processus rapide et invisible pour l’entourage, où les nouvelles technologies de la communication jouent un rôle déterminant ... qui rappelle les techniques millénaires des religions, avec des oppositions manichéennes (pur/impur, croyants/apostats). Elles utilisent des archétypes, un graphisme inspiré de la culture américaine, la dénonciation d’un monde de mensonges, de dépravation, de complot... Que peut faire l’École ? Les premières réponses de l’Éducation nationale sont simplistes, fondées sur les signes. Mais face à une idéologie, la sanction est inefficace, la prise en charge individuelle insuffisante, et tout discours moralisateur renforce l’embrigadement. Les quelques heures d’enseignement des faits religieux sont insuffisantes, tout comme l'est l’enseignement d’une laïcité abstraite. Il faut inventer une autre pédagogie, avec débats argumentés, décryptage des images, jeux de rôle. Il faut savoir aussi que l’enseignant seul ne peut rien, l’école seule non plus, elle est confrontée à une bloc qui mène une guerre idéologique contre la laïcité et ce qu’elle représente. Il faut parler de tout cela avec tout ce qu’il y a autour de l’école.

Complexité et confiance

Samia Langar (Lyon-II) invite à considérer la complexité de cette problématique. L’islam n’est pas monolithique et les parcours sont singuliers: quête des origines, réaction à des discrimination, loyauté envers la famille,.. On confond souvent les aspects religieux, identitaires et idéologiques. La plupart des familles musulmanes inscrivent leurs enfants à l’école publique et lui font confiance, ce que certains enseignants perçoivent comme un signe de désintérêt. D'autres ont recours à l’enseignement privé, y compris catholique... ou musulman. On assiste actuellement à un phénomène de déscolarisation avec enseignement à distance, ou au sein des familles, avec parfois l'éloge de la pédagogie Montessori.

Benoît Urgelli (Lyon-II) rappelle que la question de l’éducation aux valeurs traverse le XXème siècle, et qu’il y a une diversité d’utopies : "à l’école on joue à la démocratie participative alors que la société est plutôt en mode démocratie représentative." Il invite les adultes à être attentifs à la diversité de leurs représentations des publics scolaires, en plus des représentations qu'ils se font de leur mission éducative et il rappelle que l’UNESCO assigne 4 missions à l’École : apprendre à connaître, à faire, à être, à vivre ensemble.

Pour Françoise Lantheaume, l’interprétation des signes vestimentaires, mais aussi des paroles des élèves doit être faite avec précaution car un même signe peut avoir des significations différentes ici ou là. C'est collectivement qu'on peut faire face à la manifestation du religieux à l’école. Il faut trouver ensemble des limites à ne pas franchir. Il faut aussi prendre garde à la confusion des hiérarchies de valeurs entre des modes de socialisation, notamment pour des élèves musulmans. Une socialisation se fait dans plusieurs mondes, c’est le lot commun. Les jeunes qui se socialisent dans un seul monde, c’est très rare…

Claude Baudoin

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