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C'est l'absence de réforme qui est responsable des difficultés du collège (A. Prost, Le Débat)

Paru dans Scolaire le vendredi 22 janvier 2016.

"Le problème du collège est grave, et nous sommes collectivement incapables de le résoudre", écrit Antoine Prost. "Depuis deux décennies est à l’œuvre un changement de paradigme sur la pertinence duquel porte le débat scolaire.(…) Et dans ce débat, il est rare que le vieil enseignement, qu’il fasse l’objet d’anathèmes ou de nostalgie, ne soit pas convoqué", ajoute Evelyne Hery. La revue Le débat permet aux deux historiens de l’éducation d’apporter des mises en perspective documentées et problématisées de l’actuelle réforme du collège. Le premier soulève le paradoxe "que les collèges devaient résoudre" depuis le XIXème siècle, la seconde se concentre sur la réforme mal connue de 1902, qui fut pourtant "la première rénovation de l’enseignement secondaire tel qu’il avait été organisé au tout début du XIXème siècle, et qui est toujours constitutive de l’organisation de la scolarité." 

Charles Peguy, et l’Action française attaquent violement la réforme de 1902, "triomphe passager de quelques maniaques modernistes et scientistes français". Paul Appell, doyen de la faculté des sciences de Paris, note en 1908 que l’enseignement secondaire, trop livresque et trop théorique, est "imprégné de philosophie d’Ancien Régime". Mais nos deux historiens ne se contentent pas d’établir les annales des querelles éducatives. Ils nous restituent les lignes de continuité et révèlent les écarts entre les intentions et les mises en œuvre.

Deux réseaux

C'est ainsi qu'Antoine Prost expose la continuité de la concurrence entre "deux réseaux indépendants" . Le réseau secondaire qui "vient d’en haut", de l’État, et dont "le noyau dur est constitué par les lycées", et "l’enseignement primaire, venu d’en bas, d’initiatives locales, religieuses ou philanthropiques, organisé en un service public d’abord communal, puis national sous la IIIème République", à une époque où 6% des élèves accédaient au secondaire. "Les collèges de l’époque sont alignés sur les lycées", et aujourd’hui encore "leurs directeurs s’appellent "principaux" comme au XIXème siècle". Les révélations ne manquent pas : Georges Pompidou, Premier ministre "violemment hostile au tronc commun" et bloquant une circulaire sur la carte scolaire, le Rapport Haby modifié pour faire disparaître l’établissement polyvalent, Jean Capelle devant renoncer à un corps enseignant unique,… Avec la création des CES (collèges d’enseignement secondaire), "le collège qui se met en place n’est pas l’école moyenne ; c’est la généralisation d’un premier cycle secondaire, flanqué d’un enseignement primaire supérieur", s’unifiant "sur le modèle le plus prestigieux, celui qui précisément semblait le moins adapté aux nouveaux élèves".

A. Prost date de cette époque l’irruption de la violence dans les collèges. Avec Louis Legrand, "aucune expérience pédagogique à grande échelle n’a été définie aussi strictement, menée aussi longtemps et évaluée selon un protocole aussi rigoureux. Les résultats étaient positifs et sa généralisation envisageable." Mais René Haby, défavorable aux "classes de niveau matière" met en place un soutien… "qui n’existe pas : plus de 75% des moyens disponibles sont employés à rétablir l’ancien dispositif horaire". Alain Savary (1981-84) dut abandonner le projet d’enseignant référent tuteur suite à un tollé général : "La droite dénonça dans les tuteurs des commissaires politiques chargés d’endoctriner les enfants ; la gauche y vit une entorse à l’égalité républicaine ; quant aux enseignants ils partirent en guerre contre une réforme qui augmenterait leur temps de présence au collège."

Avec la loi Jospin (1989), puis François Bayrou, la réflexion se déplace des structures et de la pédagogie, vers les programmes : création du Conseil national des programmes, idée d’ "un socle commun de connaissances et de compétences", rapport Joutard, Commission Thélot. En 2005 (loi Fillon), "pour la première fois depuis 1959, la représentation nationale se penchait sur ce qu’il faut apprendre à tous les futurs citoyens". Mais "le socle commun implique un double retournement. D’une part il donne la priorité aux élèves que la conception actuelle des programmes et les méthodes d’enseignement laissent sur le bord du chemin (…), d’autre part, il met l’accent sur les compétences des élèves. (…) Le 'dire' du maître n’est qu’un moyen : le but est le 'faire' des élèves." Antoine Prost de conclure sur ce point : "le socle commun reste en grande partie à réaliser."

La très révélatrice réforme de 1902

Qui sait pourquoi la durée principale d’un cours est fixée à 1 heure ? En 1902, nous apprend Evelyne Hery, le ministère prend cette directive pour casser "la routine du cours réglé sur une durée de deux heures, ne pas excéder la capacité d’attention des élèves et conduire les professeurs à modifier leurs pratiques pédagogiques." On peut aisément retrouver, plus de 110 ans après, les polémiques, les postures, les analyses comme les propositions, car "chaque pas vers la modernisation relance la querelle entre 'anciens' et 'modernes'." Et pourtant l’histoire de cette réforme s’échelonnait sur plus de dix ans, dont trois ans de travaux préparatoires ! 

Après la défaite de 1871, et avec la montée de la compétition industrielle, "l’argument du rang et du rayonnement de la France sert en effet un discours opposé" où les humanités sont convoquées: "Il faut sauver les humanités !" et notamment "l’héritage gréco-latin qui a nourri le génie français", pour les uns. D’autres, comme Émile Combes, s’opposent au latin par anticléricalisme afin de soustraire la jeunesse française à l’influence de l’Église catholique. Conformément aux idéaux de la République, il faut "consacrer l’égalité de la culture moderne et de la culture classique". Le compromis sera trouvé dans "une acception plus large du vocable humanités". On parlera d’ "humanités modernes", faisant "de l’étude de la science, de l’exercice du libre examen et de la recherche de la vérité les soubassements d’une nouvelle morale", participant aussi au processus de laïcisation.

L'autonomie pour faire face à la concurrence du privé

De la même manière, l’objectif de la réforme était "de donner aux lycées plus d’autonomie pour faire face à la concurrence des établissements privés et des écoles primaires supérieures", le ministère comptant sur les chefs d’établissement pour "mettre en œuvre les modifications importantes de la vie pédagogique et de la discipline que la réforme promeut". Mais les dispositions les plus novatrices ne se sont guère traduites dans les faits, "l’uniformité de l’enseignement sur le territoire français restant, dans l’esprit des contemporains, un des fondamentaux de la République".

Concernant les contenus, si les langues vivantes, les sciences mathématiques et expérimentales, et le dessin voient leur nombre d’heures progresser aux dépens du latin et du grec ancien, c’est surtout "l’entrée du contemporain" qui est remarquable : développement de la géographie, droit et comptabilité en section B, en langues vivantes apprentissage de la langue parlée avant celui de la traduction, restructuration des programmes des matières scientifiques,… Mais en raison de "l’absence d’une véritable préparation professionnelle, l’évolution des pratiques professorales est lente et surtout inégale", "le cours magistral continuant de dominer la pédagogie du secondaire et d’être le marqueur de l’identité professionnelle."

Des réformes perdues dans les sables

Antoine Prost s’interroge, avec un pessimisme bien tempéré, sur les priorités et les conditions nécessaires à la réussite d’une réforme car, déplore-t-il, "une ségrégation effective se déploie sous nos yeux dans une grande indifférence". L’historien du temps long pose d’abord "la continuité politique. Il faut une dizaine d’années de volonté constante pour qu’une réforme de l’enseignement aboutisse."

D‘énumérer ensuite la nécessaire adhésion du corps enseignant, les réponses possibles au problème posé par l’hétérogénéité des élèves, un socle commun qui opère un renversement ouvrant la voie à des pédagogies alternatives, non uniformes, "en partant des compétences, c’est-à-dire de ce que les élèves doivent savoir faire, plutôt que de la liste des savoirs auxquels les maîtres doivent consacrer leurs cours".

Les réformateurs, que l’on appelle "pédagogues" depuis la fin des années 80 ? Leur responsabilité n’est guère en cause : "leurs propositions ont en général été refusées, celle de Capelle par Pompidou en 1963, celles de Haby par Giscard en 1975, celles de Legrand par Savary en 1983, et les plus récentes se sont perdues dans les sables". Et d’insister : "Ce ne sont pas les réformes qui sont responsables des difficulté actuelles du collège mais au contraire, l’absence de réforme.(…) toutes les solutions ont été proposées, aucune n’a vraiment été mise en œuvre".. ! 

Des médecins qui se fient aux rebouteux !

Peut-être plus que tout, le professeur émérite de l’université regrette l’absence d’ "un véritable débat public sur l’enseignement". Que veut-il dire par là ? "Je suis consterné de retrouver en 2015 autour d’un nouveau projet les mêmes arguments qu’en 2005, en 2000, en 1983 ou en 1975, les mêmes affirmations sans preuves assenées comme des évidences, énoncées sur le mode du 'tout le monde sait bien que…', la même façon de prêter à l’adversaire des intentions ou des positions qu’aucune citation ne vient justifier. Il existe des enquêtes, des statistiques, des expérimentations, des exemples étrangers. La polémique les ignore." Et d’ajouter : "Ceux-là même qui se mobilisent pour la défense des savoirs ignorent les savoirs positifs sur l’enseignement et en contestent parfois la possibilité même : étonnant médecins qui se fient aux rebouteux !"

Les articles représentent une vingtaine de pages dans "Le débat" n° 187 novembre-décembre 2015 – Gallimard.

 

Claude Baudoin

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