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Mixité sociale et scolaire : les analyses conjointes de la droite et de la gauche

Paru dans Scolaire le lundi 21 décembre 2015.

"Le sociologue Choukri Ben Ayed voit juste lorsqu’il qualifie la mixité sociale à l’école de 'politique sous-administrée'. Non seulement il ne s’agit pas d’une priorité pour les responsables, mais de surcroît les outils de pilotage les plus élémentaires font parfois défaut", constatent les députés Yves Durand (PS) et Rudy Salles (UDI) dont l'Assemblée nationale a publié le rapport titré "Carte scolaire ou école à la carte ?". Ce document est intéressant à plusieurs titres. Outre ses préconisations, ses analyses, bien que fondées sur la synthèse de travaux de recherche bien connus des spécialistes, sont souvent originales, et elles émanent conjointement de deux élus aux convictions politiques fortes et souvent opposées dans les débats de la commission des affaires culturelles et scolaires. Il témoigne donc de ce qui pourrait faire consensus dans la classe politique française puisqu'ont également participé à leurs travaux Xavier Breton (LR), Marie-Anne Chapdelaine (PS) et Michel Pouzol (PS). Si les préconisations sont assez hétérogènes, l'analyse est marquée par une volonté de cohérence.

Les élus s'interrogent d'abord sur la pertinence même de la notion de mixité sociale, et sur les effets, potentiellement négatifs, d'une politique qui la favorise. Ils rappellent qu'elle est intervenue tardivement dans notre système scolaire, "au cours des années 1980 et surtout des années 1990, en parallèle à la mise en place, lente et difficile, du collège unique" et qu'elle est fondée sur un postulat, "à savoir que l’interaction entre des élèves issus de milieux différents constitue un atout, pour l’école comme pour l’enfant". Or "cette certitude est peu répandue dans le système éducatif" et "l’équation entre mixité sociale, équité et efficacité du système scolaire n’a pas été démontrée de manière systématique et rigoureuse (...), l’analyse de la littérature scientifique tend à montrer que la composition sociale d’une école a des effets assez négligeables sur les résultats des élèves".

Des effets négatifs

Et peut-être même ces effets sont-ils négatifs : "Les données recueillies sur les examens passés à seize ans tendent en effet à montrer qu’en Angleterre, les élèves défavorisés (...) obtiennent les meilleurs résultats dans deux types d’établissements : ceux dans lesquels ils sont très peu nombreux et ceux dans lesquels ils sont largement majoritaires. Dans le premier cas de figure, ces meilleures performances peuvent s’expliquer par le fait que les professeurs accordent à ces élèves beaucoup d’attention, car les autres n’ont pas besoin d’être suivis. Dans le second cas, les professeurs n’ont pas d’autre choix que de faire face à des élèves en grande difficulté. À l’inverse, dans les établissements mixtes, où ils sont trop ou pas assez nombreux, les élèves défavorisés ne sont pas suffisamment aidés et obtiennent, de ce fait, de moins bons scores."

Une telle politique a-t-elle au moins des effets positifs "sur les comportements des élèves en termes d’estime de soi, d’ambition scolaire, d’attitude civique et de santé" ? Là non plus, ce n'est pas garanti. Certains travaux soulignent "que le regroupement d’élèves très différents peut avoir l’effet inverse de celui recherché et susciter des tensions dans l’établissement, car les enfants ont plutôt tendance à se réunir avec ceux qui leur ressemblent et à valoriser l’entre-soi. Dans certains cas même, le racisme entre les élèves peut augmenter."

Des effets pervers du volontarisme comme du laisser faire, y compris en termes ethniques.

Quoi qu'il en soit, l'Education nationale ne peut pas agir sur la composition sociale ou ethnique des établissements indépendamment de leur environnement urbain. "Prendre acte de cette donnée, c’est aussi admettre qu’il ne revient pas à l’école de se substituer aux politiques publiques qui ont pour mission de diversifier l’habitat et de favoriser la cohésion dans les quartiers." Les auteurss mettent d'ailleurs en garde contre les effets pervers d'une politique de mixité sociale volontariste. A Paris a été mis en place un bonus pour les élèves boursiers qui a effectivement favorisé la mixité sociale dans un lycée de centre ville, Charlemagne, très demandé, qu'ils ont pris comme exemple. Mais "n’a-t-on pas créé un risque de déséquilibre au détriment de lycées plus défavorisés qui auraient normalement dû scolariser ces éléments moteurs car facteurs de mixité scolaire ? En d’autres termes, est-ce délibérément qu’a été omise toute considération de mixité scolaire dans la poursuite de davantage de mixité sociale, alors qu’il n’y a, d’évidence, pas d’enclenchement automatique d’un cercle vertueux entre ces deux dimensions ?"

Faut-il pour autant laisser faire ? les familles ne sont-elles pas à la recherche, pour leurs enfants, de "l’entre-soi" ? Il ne faudrait d'ailleurs pas croire que ce soit "l’apanage exclusif des seules catégories aisées", l’analyse de la mise en œuvre, à la rentrée scolaire 2007, de l’assouplissement de la carte scolaire a mis en évidence l’existence d’un entre-soi "non plus social mais ethnique" et dans certains départements, on a vu "les cas – qui restent rares – de familles gitanes cherchant à se regrouper quand la sectorisation les avait séparées du gros de leur communauté, ou encore le cas d’élèves d’origines juive, maghrébine, africaine, ou encore métropolitaine dans une académie d’outre-mer, souhaitant se regrouper sur un collège ou un lycée particulier".

La mixité scolaire oui, mais jusqu'à quel point ?

L'Education nationale a en revanche à "rendre d’abord des comptes sur sa capacité à lutter contre les inégalités d’apprentissage, et partant, poursuivre prioritairement un objectif de mixité scolaire". Mais là encore, les députés s'interrogent. Se fondant sur des travaux menés aux Etats-unis, ils estiment qu' "un certain niveau d’inégalité des résultats scolaires dans la classe est sans incidence pour les élèves les plus performants et bénéfique pour ceux qui le sont moins. Mais si l’écart est trop important, les conséquences deviennent négatives pour les meilleurs élèves – dont les résultats vont baisser – et non significatives pour les plus faibles – dont les résultats ne vont plus s’améliorer."

Les élus s'interrogent aussi sur le rôle de l'enseignement privé sous contrat, lequel bénéficie d' "un avantage concurrentiel par rapport au secteur public". Celui-ci ne choisit pas ses élèves et dispense "un enseignement peu personnalisé" alors que le privé a la capacité de "proposer du sur-mesure' et de sélectionner ses effectifs, ce qui le rend "plus à même de satisfaire la demande de performance scolaire et d’entre-soi social de certains parents". Et si "près d’une famille sur deux a eu recours, au moins une fois, à l’enseignement privé durant l’ensemble de la scolarité d’au moins l’un de ses enfants", c'est "de plus en plus souvent le fait des milieux très favorisés, ce qui tend à renforcer les logiques ségrégatives négatives qui affectent les établissements publics, et singulièrement les collèges".

Des établissements privés défavorisés, des établissements publics qui reconstituent des filières

Il faut toutefois se méfier des caricatures. "C’est en Île-de-France que l’on constate des différences sociales maximales entre les élèves du public et du privé, tandis qu’elles sont très faibles pour l’académie de Rennes, où la part d’élèves du privé équivaut à celle du public, et pour celle de Besançon. L’académie de Lille, quant à elle, présente une situation inédite, car au-delà de la distinction public/privé, la ségrégation sociale est plus marquée entre collèges privés, certains étant très favorisés et d’autres très défavorisés."

Encore faut-il regarder ce qui se passe à l'intérieur des établissements. N'assiste-t-on pas à la reconstitution des filières qu'avait voulu supprimer la réforme Haby ? Le rapport prend l'exemple d'un collège parisien, "situé à l’est de la capitale", et qui a quatre classes de sixième, "dont une classe bilangue, une classe à projets et une classe de théâtre, appelée par certains parents la classe des blancs". Et les collèges ne sont-ils pas amenés à constituer ainsi leurs classes pour "préserver leur attractivité" dans un contexte de compétition avec leurs voisins, notamment lorsqu'ils sont en concurrence avec un établissement privé, "la réputation de l’établissement dépendant du profil et du niveau de ses élèves, beaucoup plus que de la qualité de son corps enseignant"?

Des chefs d'établissement qui subissent la pression sociale

La conclusion des élus est sévère : "Il n’est guère étonnant que, dans un tel contexte, les chefs d’établissement s’avèrent, au mieux, relativement indifférents à la question de la mixité sociale, au pire, plutôt opposés à cet objectif puisqu’ils doivent faire preuve d’une certaine sélectivité sociale et scolaire dans la constitution des classes pour préserver l’attractivité du collège ou du lycée" alors qu'ils subissent une forte "pression sociale en faveur de la constitution de classes ségréguées".

Et cette ségrégation varie selon les établissements. Le rapport présente notamment un tableau, dû au sociologue François Baluteau qui a étudié l'implantation de "dispositifs à thème" selon que les collèges sont plus ou moins favorisés. "Art et culture" (dont les classes à horaires aménagés musique, théâtre ou danse, ainsi que les classes à projet artistique et culturel) est proposé dans 40 % des collèges favorisés contre 6 % des collèges défavorisés, le thème "Sports" est proposé dans 91 % des collèges défavorisés et un peu plus de la moitié des collèges favorisés. Les collèges favorisés proposent plus souvent des options russe ou chinois, leurs homologues défavorisés arabe et portugais. Plus de la moitié des collèges favorisés proposent le grec, contre 18 % des collèges défavorisés. "L’excellence n’est pas de même nature entre les types de collège."

Des préconisations pour une gestion au niveau du bassin

Or l'administration n'est pas attentive à ces formes de ségrégation. "La préoccupation tenant à l’équilibre des effectifs l’emporte sur l’analyse fine des effets des demandes de dérogation sur la composition sociale des établissements." D"ailleurs, elle traite "les établissements de façon différente selon leur réputation et les réseaux de relations dont disposent leurs chefs, en renonçant notamment à contrer les stratégies des plus prestigieux d’entre eux". Les chercheurs évoquent une gestion "au coup par coup" qui engendre "un fort sentiment d’arbitraire chez les chefs d’établissement et les parents". Et les rapporteurs ajoutent : "C’est dire si la situation est critique et les leviers pour l’améliorer, défaillants. La dernière réforme de la gestion de la carte scolaire est peut-être la cause de tant de pessimisme."

Ils font donc plusieurs propositions pour "faire de l’hétérogénéité sociale et scolaire le principe clef de l’organisation pédagogique des établissements". Il faudrait "créer dans chaque bassin de formation une cellule de veille et de pilotage" des mixités sociale et scolaire.

Redéfinir le temps de présence des enseignants, intégrer le privé dans la gestion des flux d'élèves

Pour "promouvoir une organisation pédagogique propice à la mixité scolaire", ils proposent de redéfinir "le temps de présence des enseignants du secondaire dans les établissements" et d'encourager "le travail en équipe pédagogique", mais aussi d'obliger "les personnels de direction à constituer les classes de manière hétérogène", de développer "les enseignements et les activités interclasses ou inter-filières ou établissements".

Ils proposent de conditionner l'allocation des moyens à l’enseignement privé sous contrat "à des engagements de promotion des mixités sociale et scolaire", mais constatant que le "rendement scolaire" des établissements privés est élevé pour les élèves défavorisés, ils estiment que "l’implantation de ces structures dans les quartiers ciblés par les politiques de la ville ou l’éducation prioritaire doit être encouragée", mais sous réserve de ne pas "déstabiliser les établissements publics existants". Ils devraient de plus être inclus "dans les listes de vœux d’affectation recueillies par Affelnet".

Sectorisation : tester diverses formules

Les élus préconisent encore de "fermer les établissements ghettos", de "redécouper les secteurs de recrutement" en "expérimentant des secteurs élargis" mais aussi en "sectorisant les collèges en fonction des écoles publiques qui relèvent d’un même conseil école-collège", ou en accroissant "le nombre d’EPLE multi-sites, notamment par regroupement de toutes les classes de sixième dans un seul établissement". Dans les secteurs élargis et multi-collèges, les critères d’affectation devraient tenir compte "des résultats des élèves au primaire et du niveau de diplôme de leurs parents".

En ce qui concerne l'affectation en seconde, les élus préconisent une "hiérarchisation des vœux d’établissements sur l’ensemble d’un même bassin de formation", "la définition d’objectifs de mixité scolaire" et "le recours à des bonus pour atteindre ces objectifs", mais aussi "la non-prise en compte des enseignements d’exploration et des options dans les critères d’affectation".

Ils préconisent aussi de faire entrer dans le calcul des dotations globales horaires deux nouveaux critères : "le nombre d’élèves obtenant de faibles résultats aux évaluations nationales et le nombre d’élèves dont les parents sont peu ou pas diplômés", et aussi d'affecter les enseignants "en fonction de l’adéquation de leurs compétences et de leurs parcours professionnels avec les besoins des établissements" et de "rééquilibrer l’offre éducative d’excellence (sections linguistiques, sportives, artistiques) au profit des collèges évités".

Le rapport ici

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