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Les langues de France, une occasion pour les enseignants d'explorer l'altérité avec leurs élèves (musée de l'histoire de l'immigration)

Paru dans Scolaire, Périscolaire, Culture le vendredi 27 novembre 2015.

"Nous comptons près de 80 langues de France, dont 28 en Nouvelle Calédonie, toutes les langues sont d’égale dignité et nous venons tous d’ailleurs" déclare Loïc Depecker, délégué général à la langue française et aux langues de France en introduction de la troisième édition de "Migrer d’une langue à l’autre" au musée de l’histoire de l’immigration , le 18 novembre.

Abraham Bengio, directeur général adjoint honoraire de la région Rhône-Alpes, y a présenté les résultats de l’unique étude sur les langues en Région, "Langues de l'immigration en Rhône-Alpes" (LIRA). Si les langues régionales sont bien documentées, ce sont les langues de l'immigration qui sont les plus parlées en dehors du français ... et sur lesquelles il y a le moins d'études ! Une centaine de langues ont ainsi été repérées, mais 87% des personnes interrogées utilisaient l’une des 16 langues de référence*. La transmission de ces langues est essentiellement familiale avec des stratégies de transmission très différenciées : soit ne pas transmettre dans un souci d'intégration, ou transmettre mais comme une "langue de citation", ou bien transmettre sans réserve. Il ne faut donc pas assigner une personne immigrée à une langue. A noter que 24% ont un usage professionnel de la langue de l'immigration, 91% utilisent leur langue d'immigration au téléphone et 62% sur internet.

La richesse de ce patrimoine linguistique

"D’une manière générale, le rapport de la société française à l’altérité demande à être questionné. La 'xenoglossophobie' reste importante et concerne certaines langues plus que d’autres, particulièrement l’arabe, le turc et le berbère." Pour Abraham Bengio "il faut convaincre les médias, les relais d’opinion, d’aider à sensibiliser la population à la richesse que représente ce patrimoine linguistique - alors que nous sommes en train de le transformer en malédiction de Babel (…) - et de faire reconnaître que les langues de l'immigration, comme les langues régionales, sont une composante des langues de France".

Christine Deprez, linguiste (Paris-V), distingue parmi les familles immigrées des familles monolingues (français seul 12%, ou l'autre langue seule 8%), des familles bilingues ou trilingues, avec alternances ou mélanges, ce qui ne veut pas dire confusion. Les pratiques individuelles varient avec les évènements clefs comme la naissance d’un autre enfant ou l'entrée au collège, mais aussi avec les pratiques associatives de soutien, les voyages au pays, l'utilisation de Skype... A noter aussi que les langues africaines sont très territorialisées en France : on parle davantage le Soninké ou le Poular en Haute Normandie..

Accueillir les langues et les valeurs

Les questions de l’auditoire ont ajouté à la complexité des représentations. Quid du globish, utilisé en informatique ? Quid du marketing ethnique ? Quid des langues d’Asie et de quel chinois parle-t-on ? Arabe au singulier ou arabes au pluriel ? Quid des pédagogies plurilingues ? La stratégie que l'on a avec ses enfants dépend de la place de langue dans la société française : "J'ai honte de dire que ma langue maternelle est le BCMS (Bosniaque Croate Montenegrain Serbe)", témoigne une participante. Et une autre, originaire d'Afrique, d'ajouter : "Il y a un mal-être dans la société, on n'est pas considéré comme des citoyens égaux. « Accueillir, c'est accueillir les gens avec leurs valeurs ».

Claire Extramiana, chargée de mission auprès du Délégué général pour la maîtrise du français et l'action éducative rappelle qu’à partir de 2003 s'est mis en place le contrat d'intégration pour les migrants non-européens avec condition de connaissance du français, comme dans de nombreux pays d'Europe de l'ouest. L'Angleterre a élevé le niveau requis (B1) pour limiter les regroupements familiaux. La France est dans une situation intermédiaire entre l’Europe du nord très interventionniste et l'Europe du sud, tout en encourageant l'apprentissage du Français (200 à 400 heures) avec des formations linguistiques gratuites.

Les élèves allophones pour s'intéresser à l'inclusion de tous

Pour sa part, Henriette Walter, linguiste (EPHE), observe qu'apprendre une nouvelle langue, "ce n'est pas désapprendre sa langue première" : "Au début on se sent perdu, et on apprend en même temps beaucoup de choses sur sa propre langue. Par exemple la prononciation : un arabophone est confronté aux nombreuses voyelles, alors qu’en arabe on n’a que 3 timbres.... mais le système consonnantique arabe est beaucoup plus développé."

Interrogée par ToutEduc, Josianne Gabry, psychanalyste et ex-membre du CASNAV de l’académie de Créteil, témoigne des évolutions depuis 10 ans. Co-auteure de "Écoles et langues de pensées" (CRDP Créteil 2005) elle le renommerait aujourd'hui : "Classe inclusive, langues et mode de pensée" "Ce qui a changé c’est l’inclusion. Les élèves allophones sont comme des loupes grâce auxquelles on s’intéresse à tous les élèves. Les enseignants prennent conscience que leurs élèves plurilingues ont des compétences partielles : on est loin du concept de 'maîtrise de la langue', employé il y a 10 ans, et qui a un côté intimidant. Une compétence partielle c’est déjà une compétence..."

Réagissant au bilan de cette troisième édition, Claire Extramiana confie à ToutEduc : "On voit mieux dans quelle direction on doit avancer en fonction des domaines d’emplois des langues dans la vie de tous les jours : l’éducation, les médias, l’économie, les pratiques culturelles…", pour à terme "dégager de bonnes pratiques, ce qui permet de valoriser ces langues de l’immigration". Abraham Bengio ressent "une espèce de ferveur parce que les gens se sont impliqués dans le sujet, en fonction de leur propre biographie langagière et leur rapport aux langues (…) C’est un sujet qui nous concerne dans notre chair".

Des ressources pour l'enseignement

La DGLFLF (délégation générale à la langue française et aux langues de France) a présenté à cette occasion de nombreuses ressources nouvelles, notamment le site "Corpus de la parole" qui donne accès à des fonds sonores en français et dans différentes "Langues de France". Marie Poinsot mentionne la publication "Migrer d'une langue à l'autre" du musée de l’histoire de l’immigration. Anne Zribi-Hertz (Paris-VIII) et Dominique Levet (coordonnateur des classe d’accueil en Seine-Saint-Denis) présentent le site "Langues et grammaires en Ile de France", qui rend accessibles des informations sur les langues parlées en Ile-de-France (ici). Le CASNAV de Besançon propose aux enseignants (sur M@gistere) une sensibilisation afin qu’ils vivent l’écart linguistique tel que le vivent les élèves ; par exemple de lire un énoncé de géométrie en chinois, de se faire aider en russe, puis en slovaque, puis en portugais… !

A noter encore les revues "Hommes & Migrations" du musée de l’histoire de l’immigration et "Diversité" du réseau Canopé ainsi qu'un "eDiasporas Atlas" de la Fondation Maison des sciences de l’Homme qui combine les théories des diasporas avec l’étude du web, les sciences humaines avec les sciences de l’ingénieur, et crée ainsi une mémoire digitale de l'immigration.

*Les langues de référence de l'étude LIRA sont :Arabes, Kabyle/berbère, Lingala, Wolof, Comorien, Turc, Kurde, Arménien occidental, Vietnamien, Mandarin, Portugais, Espagnol, Langues d’Italie, Polonais, Yiddish, Rromani. Devaient figurer parmi les langues de référence Hmong, Grec, BCMS et Russe qui n’ont pu être finalement retenues faute de locuteurs ayant répondu à l’enquête.

Claude Baudoin

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