La mise en place des trente-cinq heures dans les collèges des Yvelines (une analyse d'A. Legrand pour ToutEduc)
Paru dans Scolaire le mercredi 04 novembre 2015.
Les problèmes juridiques entourant la mise en place des trente-cinq heures dans les EPLE (les collèges et les lycées) ne sont pas tout à fait éteints : en témoigne une décision rendue le 22 octobre 2015 par la CAA de Versailles, analyse pour ToutEduc André Legrand, ancien recteur et professeur de droit.
Un décret du 25 août 2000, relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l’Etat avait fixé la durée effective du travail dans les EPLE à 35 heures par semaine, le décompte s’effectuant sur la base de 1600 heures annuelles (chiffre porté à 1607 en 2004). Cette situation nécessitait cependant un aménagement, s’agissant des corps ou emplois dont les missions impliquent un temps de présence supérieur à ce temps de travail effectif. C’est pourquoi, dans son article 8, le décret précité ouvrait la possibilité, par décret en Conseil d’Etat, de fixer des règles d’équivalence entre la durée de travail dans ces corps ou emplois et la durée légale. Cela concernait en particulier les agents des collèges exerçant des fonctions d’accueil et logés par nécessité absolue de service (par exemple les concierges), dont le temps de présence, correspondant à un temps de travail de 1600 heures, a été établi ultérieurement à 1909 heures par agent et par an en cas de poste double et à 1723 heures en cas de poste simple.
Une conséquence de la décentralisation de 2004
Comme on le sait, cependant, la loi de décentralisation du 13 août 2004 a décidé le principe du transfert des personnels TOS des établissements scolaires aux collectivités territoriales ; ces personnels ont ainsi pu, jusqu’à la fin de l’année 2008, opter pour une intégration ou un détachement dans la fonction publique territoriale. Du fait de ce changement, les personnels TOS des EPLE ne pouvaient plus être soumis aux dispositions du décret de 2000 précité, puisque celui-ci ne s’appliquait qu’aux agents de la fonction publique de l’Etat : ils relevaient désormais des dispositions d’un décret du 12 juillet 2001 relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale.
Ce décret se référait largement à celui de 2000. Il indiquait par exemple que les règles relatives au temps de travail et s’appliquant aux agents des collectivités territoriales sont déterminées dans les conditions prévues par le décret du 25 août 2000. Mais, s’agissant de la fixation des règles d’équivalence, l’article 8 du décret de 2001 exigeait l’intervention d’un texte spécifique, distinct de celui prévu par le décret de 2000 en ce qui concernait la fonction publique d’Etat : alors que ce dernier devait être pris après consultation du Conseil supérieur de la fonction publique de l’Etat et du comité technique paritaire ministériel, le décret en Conseil d’Etat prévu par le texte de 2001 exigeait la consultation du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale.
Un décret qui n'a jamais été pris
Au moment du transfert des personnels, le Conseil général des Yvelines avait, par une délibération de juillet 2007, fixé le régime d’équivalence concernant les agents des collèges du département, exerçant des fonctions d’accueil et logés par nécessité absolue de service. Délibération immédiatement attaquée par un syndicat, qui arguait du fait que seule l’intervention du décret prévu par le texte de 2001 pouvait conférer au Conseil général la compétence de prendre cette délibération. Or ce décret n’ayant jamais été pris, indiquait le requérant, cela privait de base légale la délibération du Conseil général.
Suite au rejet de ce recours par le TA de Versailles, la CAA, saisie en appel, avait confirmé ce rejet en mai 2013. Elle avait estimé que, puisque le décret de 2001 renvoyait aux règles posées par le décret de 2000, son intervention suffisait à permettre la transposition aux agents de la fonction publique territoriale des règles d’équivalence fixées pour les agents de la fonction publique d’Etat. Saisi en cassation, le Conseil d’Etat avait désavoué la Cour par un arrêt du 20 mars 2015 : le décret de 2001, indiquait-il, n’a pas entendu fixer les règles d’équivalence ; il se contentait de renvoyer au décret en Conseil d’Etat, à prendre après consultation du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, le soin de le faire. Il fallait donc bien un décret spécifique, en Conseil d’Etat, pris après avis du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale. Le Conseil d’Etat avait donc annulé la décision de la Cour et il lui avait renvoyé l’affaire...
Le code général des collectivités territoriales
Ressaisie du dossier, la CAA de Versailles fait amende honorable : elle reconnaît que, faute de texte d’application, l’article 8 du décret de 2001 n’était pas entré en vigueur. Mais, ajoute-t-elle, contrairement à ce que prétend le syndicat, le pouvoir de fixer le régime d’équivalence concernant les agents logés par nécessité absolue de service n’est pas conditionné par l’intervention du décret en Conseil d’Etat ; elle résulte directement des dispositions du Code général des collectivités territoriales, qui accordent à la collectivité, donc, dans le présent cas, au conseil général des Yvelines, la compétence de régler l’organisation de ses services dans son département et de fixer la durée hebdomadaire du travail du personnel y travaillant, sous réserve du respect des dispositions législatives et réglementaires applicables.
La Cour se contente donc de vérifier que la composition du conseil général était régulière au moment où il a pris la délibération et si la consultation du CTP départemental s’est déroulée dans des conditions régulières (information suffisante des membres, documents adressés dans les délais prescrits..)
Elle rejette donc une nouvelle fois le recours, sur d’autres arguments que ceux qui avaient été censurés par le Conseil d’Etat.
n° 15VE00936 du jeudi 22 octobre 2015 ici
André Legrand