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Pas de QPC à l’encontre des programmes d’histoire (une analyse d'A. Legrand pour ToutEduc)

Paru dans Scolaire le lundi 26 octobre 2015.

Les programmes scolaires et, en particulier, ceux d’histoire deviennent de plus en plus des enjeux de querelle politique. Le dernier exemple de cette tendance est le recours déposé par une association pour la neutralité de l’enseignement de l’histoire turque dans les programmes scolaires (ANEHTPS) devant le Conseil d’Etat à l’encontre des programmes d’histoire-géographie-éducation civique du collège, demandant, plus de sept après son émission, l’annulation de l’arrêté fixant ses programmes.

Cette association, récemment créée, s’est fixé pour objet de promouvoir et de défendre la neutralité de l’enseignement de l’histoire turque dans les programmes scolaires et, à ce titre, de proposer une analyse critique des programmes d’enseignement et des méthodes d’enseignement relatifs à l’histoire turque et de veiller par tout moyen, y compris juridictionnel, au respect de la neutralité et de l’objectivité, dans les programmes scolaires, de l’enseignement de l’histoire turque en général et des relations turco-arméniennes du début du 20ème siècle en particulier. Illustration très forte de l’évolution de l’institution scolaire et de la disparition de "l’école-sanctuaire, où les querelles des hommes ne pénètrent pas" ; illustration aussi des risques de pressions extérieures exercées sur l’institution et les enseignants et des difficultés croissantes qu’ils éprouvent dans l’exercice de leur métier.

Ce qui est tout particulièrement visé par la requête est l’annexe de l’arrêté concernant le programme de troisième, qui cite, parmi les compétences à acquérir par les élèves : "décrire et expliquer la guerre des tranchées et le génocide des Arméniens comme des manifestations de la violence de masse". L’association avait assorti son recours d’une demande de QPC, tendant à faire renvoyer devant le Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, les dispositions de l’article 1er d’une loi de 2001, disposant que "la France reconnaît publiquement le génocide arménien". Il semble bien qu’au delà des programmes scolaires, c’était la loi elle-même qui était la véritable cible, l’association récusant le terme de génocide et prétendant y voir une atteinte à la liberté d’expression, de conscience et d’opinion et au principe de neutralité du service public.

Une loi bavarde ne peut être invoquée

Le Conseil constitutionnel avait déjà été amené à se prononcer sur cette loi, en 2012 et il avait estimé que l’article incriminé était dépourvu de portée normative, c’est-à-dire d’effet juridique : depuis 2004, le Conseil affirme en effet que la loi a vocation à énoncer des règles de droit et qu’elle doit par suite être revêtue d’une portée normative. "La loi, disait l'ancien président du Conseil constitutionnel Pierre Mazeaud, n’est pas faite pour affirmer des évidences, émettre des vœux ou dessiner l’état idéal du monde", sauf à en faire "un instrument de la politique spectacle". La loi "bavarde", que dénonçait Renaud Denoix de Saint Marc (membre du CC), risque de perdre toute autorité. C’est sur ces bases que le Conseil constitutionnel avait par exemple censuré, en 2005, un certain nombre de dispositions de la loi Fillon, constituant autant de truismes, comme l’affirmation que "l’objectif de l’école est la réussite de tous les élèves"ou "compte tenu de la diversité des élèves, l’école doit reconnaître et promouvoir toutes les formes d’intelligence pour leur permettre de valoriser leurs talents".

De l’absence de portée normative des dispositions contestées, le Conseil déduit en particulier leur constitutionnalité ne peut être contestée et qu’elles ne peuvent pas être invoquées à l’appui d’un recours. Reprenant la constatation faite en 2012 selon laquelle une disposition législative qui a pour objet de "reconnaître" un génocide n’a pas de portée normative, le Conseil d’Etat en déduit logiquement qu‘elle ne peut être regardée comme applicable au litige engagé par l’association et qu’elle n’est pas de nature à porter atteinte aux droits et libertés reconnus par la Constitution. Il refuse en conséquence de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel.

La France n’est pas le seul pays où l’on essaie d’entraîner le juge vers des domaines ne relevant pas de sa compétence : juger de ce qui relève ou non de la vérité scientifique. La longue histoire des débats américains sur l’enseignement du créationnisme vient de toute évidence à l’appui de cette proposition. Mais il semble plus qu’évident que, lors de l’examen au fond de la requête, le Conseil d’Etat, fidèle à ses traditions, au principe de laïcité et, de manière plus générale, aux valeurs de la République, refusera de suivre les requérants sur la voie empoisonnée où ils voudraient l’amener.

 

André Legrand

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