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Apprendre à lire et à écrire : une alchimie complexe, et pas de méthode miracle (R. Goigoux)

Paru dans Scolaire le mercredi 16 septembre 2015.

"Décrire, avec le plus de finesse possible, l’ordinaire du travail des classes et les caractéristiques de celles dans lesquelles les élèves progressent le plus" de façon à "éteindre la guerre des méthodes" de lecture, tel est l'objectif que se sont fixé Roland Goigoux et les chercheurs qui ont travaillé sur le programme "Lire et écrire, efficacité des pratiques d'enseignement de la lecture et de l'écriture au cours préparatoire", et dont les premiers résultats viennent d'être donnés à la presse spécialisée. L’étude, écrivent-ils dans le dossier de présentation, est "originale sur le plan méthodologique", puisqu'il s'agit de décrire "le monde pédagogique tel qu’il est, c’est-à-dire non transformé par le dispositif de recherche", à la différence des expérimentations qui font généralement l'objet de publications. Il s'agit de "s’appuyer sur l’expertise collective des enseignants" avant de "contribuer à diffuser des modes de travail efficaces". Elle s’appuie donc "sur les pratiques effectives" de 131 enseignants "se référant à une grande variété d’approches" et sur les résultats aux tests de leurs 2 507 élèves.

"La composition de notre échantillon d’élèves est proche de celle de la population de référence mais légèrement plus défavorisée socialement (...) : 52 % des élèves sont issus de CSP défavorisées et très défavorisées ; 27 % sont scolarisés en réseau d’éducation prioritaire ; 21,6 % entendent à la maison une autre langue en plus du français, 6,7 % seulement une autre langue que le français." Roland Goigoux précise qu'ils ont tous accepté la présence d'un chercheur pendant trois semaines dans leur classe, et qu'ils ont tous au moins trois ans d'expérience, huit ans en moyenne.

 "Quoi que fasse leur enseignant"

Premier résultat : "les choix techniques pèsent peu dès lors que les enseignants sont expérimentés, sérieux et qu’ils savent rester maitres de leur classe." Plus précisément, les chercheurs n'ont "quasiment trouvé aucune caractéristique pédagogique qui pénaliserait les élèves initialement forts au point qu' "on pourrait dire que ces élèves apprendront à lire et à écrire au CP quoi que fasse leur enseignant". En revanche, "les différences d’efficacité apparaissent plus importantes lorsqu’on examine les progrès des élèves initialement faibles".

A l'entrée au CP, les performances "sont extrêmement contrastées", "des élèves quasi-lecteurs côtoient dans chaque classe des élèves très démunis": selon les épreuves, 10 à 30 % "ne disposent pas des compétences attendues en fin de maternelle", surtout dans le domaine de la compréhension de la langue écrite, où les résultats sont "très fortement" corrélés avec l’appartenance sociologique des enfants.

Un enseignement explicite partout

En ce qui concerne l'apprentissage du code (décodage, encodage, lecture à haute voix), "ceux qui redoutaient que les élèves ne bénéficient pas d’un temps conséquent d’étude" doivent être rassurés, ils y consacrent en moyenne "près de 3 heures contre 11 minutes consacrées à la reconnaissance de mots entiers ! Tous les enseignants que nous avons observés procèdent à une étude explicite des correspondances grapho-phonémiques même si la plupart y ajoutent la mémorisation de quelques mots entiers très fréquents (dans, c’est, elle, etc.)." Dans toutes les classes, comme le demande Stanislas Dehaene, les élèves reçoivent un enseignement explicite et précoce des correspondances entre les graphèmes et les phonèmes. 

Et pourtant, "à la fin du CP, les contrastes sont tout aussi forts. Rares sont les classes (une vingtaine) qui semblent avoir été en mesure de jouer un véritable rôle compensatoire". Et les difficultés de compréhension en fin de CP ne dépendent pas "de la qualité du décodage : leurs difficultés de compréhension sont quasiment du même ordre lorsque les textes sont lus à haute voix par l’adulte".

Mise entre parenthèses du travail sur la compréhension

Roland Goigoux et les chercheurs qui ont travaillé avec lui plaident donc pour que "que l’enseignement au CP prenne en charge les deux composantes majeures qui forgent la compétence de compréhension en lecture autonome : le décodage, bien sûr, mais aussi la compréhension de textes (...). La mise entre parenthèses, au CP, d’une pédagogie de la compréhension qui existait parfois en maternelle (sans que les élèves sachent décoder) et qui reprendra (trop tard !) au CE2 semble préjudiciable aux élèves les plus défavorisés socialement." Actuellement, seules 24 minutes par semaine sont consacrées à "expliquer ou reformuler le sens d’une phrase ou d’un texte; produire un rappel de récit (...) ou d’un texte explicatif ou d’une consigne ; rendre explicite une information implicite ; proposer, débattre ou négocier une interprétation / des interprétations (...) Un rééquilibrage entre les différentes composantes de l’enseignement de la lecture semble donc souhaitable."

Les chercheurs ne disposaient jusqu'à présent d'aucun test de compréhension. Ils en ont donc bâti un, les enfants lisent un texte silencieusement, et doivent ensuite répondre à des questions orales qui montrent qu'ils en ont saisi les implicites. Or "l’impact des pratiques pédagogiques est fort en écriture et faible en compréhension", c’est d'ailleurs "un enseignement difficile à concevoir et à réaliser". La maîtrise du code est évidemment une condition nécessaire à la compréhension d'un texte, et elle explique pour près de la moitié (0.43) les différences de performance des élèves, mais qu'elle n'est pas suffisante, puisque la capacité à comprendre un texte lu oralement (donc sans décodage) l'explique pour un tiers (0.31). Les données internationales permettent de voir un effondrement à 10 ans d'élèves qui étaient considérés comme sachant lire à 7-8 ans, mais dont on n'avait testé que la capacité à retrouver des informations explicites. Cette étude est donc une première pour l'identification des causes des échecs ultérieurs.

Une partie de la différence des résultats non expliquée

Mais plus globalement, comment s'expliquent les résultats des élèves : pour plus de la moitié, c'est leur niveau initial à l'entrée au CP qui est déterminant, celui-ci dépendant pour partie du travail fait en maternelle, et pour partie de l'éducation reçue dans la famille, une donnée sur laquelle ne porte pas cette étude. Le contexte socio-culturel joue, durant l'année de CP, pour 5 % de la diversité des performances, "l'effet classe", c'est à dire les effets cumulés du travail de l'enseignant, du rôle des autres élèves... pour 8 %, et il joue davantage sur les résultats en écriture (11 %) qu'en compréhension (5%). Mais pour les 33 % restant, "on ne les explique pas", reconnaît Roland Goigoux.

Une chose sûre, ils ne dépendent pas des manuels et des méthodes. Un tiers de ceux qui n'utilisent aucun manuel (30 % de l'échantillon) font partie des enseignants très efficaces, et un autre tiers des moins efficaces, même proportions pour ceux qui utilisent un manuel de type "intégratif" (10 % de l'échantillon), tandis que seuls 16 % de ceux qui utilisent un manuel axé sur le code (10 % de l'échantillon) sont très efficaces, mais ils ne sont que 5 % à être peu efficaces Et parmi ceux qui utilisent le même manuel, les quelque 140 observateurs qui se sont répartis dans les classes, munis d'une grille d'analyse et de codage des pratiques pédagogiques effectives, "les disparités sont folles". A l'inverse, "il est fréquent de retrouver deux classes présentant des profils didactiques voisins alors que les enseignants utilisent des manuels différents ou que l’un utilise un manuel et l’autre pas. Il n’y a pas à proprement parler d’effet manuel (...) Il existe en revanche un effet modeste mais négatif pour les élèves initialement faibles scolarisés dans les classes qui utilisent un manuel avec approche intégrative par comparaison avec ceux qui utilisent un manuel centré sur le code."

Des effets de seuil

Mais, insiste Roland Goigoux, si la recherche ne permet pas de dire quelle serait la recette miracle ou la "bonne méthode", et si, au contraire, elle met en garde contre l'idée qu'il existerait un levier unique sur lequel on pourrait agir, l'étude permet d'identifier des "effets de seuil". Par exemple, un tempo trop lent en début d'année, avec un nombre trop restreint de correspondances graphèmes-phonèmes, ou trop peu de travail sur l'encodage, ou la lecture de textes contenant trop de graphèmes que les élèves n'ont pas encore appris à reconnaître... peuvent, s'ils ne sont pas compensés par ailleurs, être préjudiciables aux élèves faibles.

Si Roland Goigoux espère que cette publication mettra un terme aux "polémiques stériles", il entend bien que son coût (120 000 € environ, hors salaires des enseignants-chercheurs, financés pour l'essentiel par l'IFE et par la DGESCO, donc sur fonds publics) implique sa restitution au public dans toute sa complexité. L'IFE prépare d'ailleurs une application qui permettra à chaque enseignant de contrôler son dosage des divers apprentissages. Elle doit favoriser aussi l'élaboration d'outils pour les inspecteurs et conseillers pédagogiques chargés de l'accompagnement des jeunes enseignants. Un enseignant efficace est en effet d'abord un enseignant bien outillé, bien accompagné. Et cette étude a été l'occasion "d'identifier des pépites", de repérer les pratiques d'enseignants "très inventifs", qu'elle mettra en valeur. Car l'exploitation de ses résultats ne fait que commencer. Ils seront intégralement publiés, et mis à la disposition de l'ensemble des chercheurs.

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