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L'illusion de l'apprentissage partout (Revue Diversité)

Paru dans Scolaire, Orientation le mardi 01 septembre 2015.

"Telle une bouée de sauvetage à laquelle chaque gouvernement tente désormais de se raccrocher face aux difficultés économiques et au chômage des jeunes – réduisant par là ce dernier à un mauvais ajustement entre formation professionnelle et marché de l’emploi – l’alternance est souvent présentée comme la panacée…" Mais est-ce vraiment le cas ? Pour répondre à cette question, le nouveau numéro de la revue "Diversité", intitulée "Mosaïque de l’alternance", réunit une série de contributions. En introduction, Régis Guyon, le rédacteur en chef de la revue, Gilles Moreau, enseignant en sociologie (Poitiers) et Mathias Millet, membre du comité de rédaction, affirment que "l’alternance ne doit pas être pensée comme une modalité à part dans le parcours et la scolarité des élèves, mais comme une possibilité dans un continuum raisonné, porteur de pratiques professionnelles assurant l’inclusion et l’accompagnement de tous sur les voies d’accès à l’emploi".

Gilles Moreau distingue trois formes d’alternance : "La première correspond à ce que j’appellerais l’alternance sous statut scolaire. On est élève ou étudiant et on fait des stages en entreprise. […] A côté de ce statut qu’on pourrait qualifier d’apprentissage scolarisé, nous avons l’apprentissage salarié ou l’alternance en entreprise ou l’apprenti bénéficie d’un statut de salarié. […] La troisième catégorie regroupe plusieurs dispositifs qui correspondent tous à une forme d’alternance d’insertion."

L’apprentissage partout et tout ira mieux 

Revenant sur l’histoire de l’alternance, depuis la loi Astier de 1909 qui pose le principe, en passant par les années 60/70 où l’apprentissage disparaît et où "l’idée dominante d’alors est qu’on apprend un métier à l’école professionnelle, à savoir en CET (collège d’enseignement technique)", Gilles Moreau constate que "le renouveau de l’apprentissage va s’opérer en deux temps". Dans les années 70/90, "on assiste à une mise en équivalence de la filière apprentissage en entreprise par rapport à la filière scolaire". Ce changement de cap coïncide "avec le développement du chômage des jeunes et l’essor de deux idéologies concomitantes : celle de l’entreprise formatrice et celle de l’adéquation formation/emploi". Le second temps, à partir des années 90, correspond "à une nouvelle phase dans laquelle, très clairement l’Etat, les gouvernements – qu’ils soient de droite ou de gauche – vont privilégier l’apprentissage en entreprise". C’est le temps de "l’apprentissage partout et tout ira mieux !" Une conception "complètement illusoire, et disproportionnée", selon l’auteur, mais qui "s’impose encore aujourd’hui très largement dans le champ politique".

Lucie Tanguy (CNRS) constate elle aussi que "depuis les années 70, le rapprochement école-entreprise est un des mots d’ordre des politiques éducatives en France. Il a donné lieu à diverses formes parmi lesquelles le stage en entreprise s’est progressivement institué. Mais sa mise en œuvre s’est très vite heurtée à un obstacle : une offre de places insuffisantes dans les entreprises." D’où de nouvelles formes de rapprochements dont l’une inquiète l’auteure : "l’enseignement de l’esprit d’entreprise" qui "vise à transmettre la culture d’entreprise, tâche déléguée à des associations qui, au moyen de conventions et d’accords de toutes sortes avec le ministère de l’éducation nationale, prennent place dans l’école".

S’intéressant plus particulièrement à l’association "Entreprendre pour apprendre" et au processus de création de mini-entreprises dans plusieurs établissements scolaires, Lucie Tanguy a pu se rendre compte que "l’entreprise est ici enseignée comme une organisation sociale amputée des acteurs qui la font exister : les travailleurs. Seules importent la direction et ses tâches, auxquelles les élèves sont initiés." Et d’en conclure : "cette enquête met au jour le retrait de l’Etat qui, ici, se traduit par un contournement du principe de laïcité. L’enseignement de l’entrepreneuriat et des valeurs qu’il véhicule n’est autre qu’une idéologie qui déforme la réalité des entreprises".

Un recrutement discriminatoire des apprentis

"L’idée selon laquelle l’apprentissage favoriserait l’insertion professionnelle fait aujourd’hui l’objet d’un large consensus", souligne Prisca Kergoat (Toulouse-II). "Pourtant, l’examen de la sélection opérée par les employeurs démontre que ladite performance de ce dispositif de formation doit beaucoup à l’éviction des jeunes les plus fragilisés dans l’accès à l’emploi." Elle précise : "Tout en valorisant ce mode de formation, l’extension de l’apprentissage à l’enseignement supérieur a profondément transformé le public apprenti. Alors que l’effectif des apprentis de niveau V diminue (passant de 232 135 en 1996, à 185 875 en 2013), celui de l’enseignement supérieur connaît une progression rapide (de 20 050 en 1996, à 135 371 en 2013)."

Des constats qui, selon l’auteure, "interrogent le bien fondé de politiques éducatives qui mobilisent l’essentiel du budget des politiques d’emploi des jeunes pour le développement de l’apprentissage : plus de 4 milliards d’euros au budget de l’Etat et des régions, c’est-à-dire plus de 75% de la dépense publique consacrée à l’emploi des jeunes […] Dans cette optique, l’introduction de l’apprentissage à l’université ne fait que déshabiller Pierre pour habiller Paul, contribuant à détourner la vocation première de l’apprentissage ; celle de permettre à des jeunes issus des classes populaires d’acquérir un titre, et au-delà un métier qu’ils n’auraient peut-être pas pu acquérir autrement." Pour Prisca Kergoat, le recrutement des apprentis reste discriminatoire : "Deux dimensions continuent, aujourd’hui comme hier, à caractériser l’apprentissage : il est masculin d’une part, et "blanc" d’autre part. Les jeunes d’origine maghrébine et subsaharienne sont deux fois plus nombreux en lycée professionnel qu’en apprentissage et sont concentrés dans les spécialités de formation les moins attractives et les plus éloignées de l’emploi".

Mosaïque de l’alternance, Revue Diversité, n°180, 2e trimestre 2015, Canopé Editions

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