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Pédophilie : A. Legrand analyse la situation créée par la censure du Conseil constitutionnel

Paru dans Scolaire le lundi 31 août 2015.

André Legrand (ancien recteur, ancien président de Paris-X, professeur de droit) propose aux lecteurs de ToutEduc une analyse juridique de la situation créée par la censure, par le Conseil constitutionnel, des trois articles relatifs à la transmission d'informations entre Justice et Education nationale pour lutter contre la pédophilie et qui étaient inclus dans la loi "portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne" (voir ToutEduc ici).

En cette période de foisonnement des textes, le cavalier législatif prospère, nourrissant de ce fait une jurisprudence importante du Conseil constitutionnel. Ce dernier encadre en effet l’exercice du droit d’amendement, qu’il soit exercé par le gouvernement ou par les parlementaires ; il exige que les amendements proposés à l’occasion de la discussion d’un projet ou d’une proposition de loi "ne soient pas dépourvus de tout lien" avec le texte discuté et censure de manière stricte tous ceux qui ne remplissent pas cette condition.

La multiplication des cavaliers législatifs, ces dernières années, s’explique en particulier par les difficultés que le gouvernement et le Parlement éprouvent à répondre aux exigences de l’actualité immédiate, lorsque des questions de nature à susciter une attention ou une émotion particulières de l’opinion publique surgissent. La loi est ainsi utilisée comme moyen de communication et l’introduction d’une disposition particulière au sein d’un texte en discussion devient, pour le gouvernement ou pour les parlementaires, de la majorité comme de l’opposition, un moyen commode de dire à l’opinion qu’on ne reste pas insensible au problème posé et de prétendre qu’on entend faire quelque chose pour y apporter une réponse rapide.

L’importance médiatique des questions de sécurité explique sans doute que ces déviations aient pris une importance particulière à l’occasion du vote de la loi du 17 août 2015 portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne. Le texte initial, déposé par le gouvernement au Sénat, avait pour objet essentiel de transposer en droit français trois décisions-cadres européennes et il comportait huit articles. Vingt-huit articles supplémentaires y ont été ajoutés lors de la discussion à l’Assemblée nationale qui, bien que concernant des modifications de la législation pénale française, n’étaient pas imposés par un texte de l’Union européenne. Considérant que cette manière de procéder portait atteinte aux prérogatives du Sénat, dans la mesure où, la procédure accélérée ayant été engagée, ce dernier n’avait pas eu la possibilité d’examiner ces dispositions avant la discussion en commission mixte paritaire, les sénateurs de l’opposition demandèrent au Conseil constitutionnel d’annuler ces vingt-huit articles en tant qu’ils constituaient des cavaliers législatifs introduits par voie d’amendement selon une procédure contraire à la Constitution.

Le Conseil constitutionnel leur a donné raison sur vingt-six des dispositions contestées et, se saisissant d’office, il a annulé un vingt-septième article qui n’avait pas été expressément contesté devant lui.

Parmi les dispositions annulées figuraient trois articles introduits à la demande du gouvernement à la suite de deux affaires de pédophilie intervenues dans le milieu scolaire. Ces articles permettaient en particulier au Parquet d’informer les autorités administratives responsables non seulement de certaines condamnations prononcées contre leurs agents, mais aussi de l’existence de procédures judiciaires en cours quand elles concernent des personnes dont l’activité professionnelle les amène à travailler au contact habituel de mineurs. Les sénateurs requérants y voyaient un risque d’atteinte grave à la présomption d’innocence et une possibilité, par la diffusion d’informations au stade de l’enquête ou de l’instruction, que des dommages, souvent irréparables, soient causés à des personnes injustement mises en cause. Le gouvernement contestait cette argumentation, soulignant notamment que ces dispositions tendaient uniquement à faire jouer la possibilité pour les autorités compétentes, seules destinataires, de faire cesser ou de suspendre l’exercice de l’activité impliquant le contact avec des mineurs et que ces procédures ne concernaient que des infractions particulièrement graves. Par ailleurs, il soutenait que les droits de la défense étaient respectés, les intéressés étant avisés et pouvant .se faire assister par un avocat.

Sans prendre parti sur cette question de fond, le conseil constitutionnel s’est contenté d’annuler l’article incriminé pour des motifs de procédure, considérant qu’il s’agissait d’un cavalier législatif adopté selon une procédure contraire à la Constitution. La Garde des Sceaux a de ce fait indiqué que ces dispositions pourraient être reprises et seraient prochainement à nouveau soumises au Parlement, compte tenu de leur importance dans la lutte contre la pédophilie, en particulier en milieu scolaire.

André Legrand

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