Enseignement : regard, voix, posture... de l'importance des "micro-gestes" (thèse)
Paru dans Scolaire le mercredi 08 juillet 2015.
"Comme le musicien, l'enseignant doit savoir interpréter la partition qu'il a créée ou bien qu'il a empruntée, grâce à l'usage de micro-gestes précis, incarnés dans des actions gestuées et situées", estime Jean Duvillard, dans une thèse soutenue en sciences de l'éducation en octobre 2014 à l'Université Claude Bernard-Lyon 1, intitulée "'L'introspection gestuée' - La place des gestes et micro-gestes professionnels dans la formation initiale et continue des métiers de l'enseignement."
S'appuyant sur son expérience de direction de chef de choeur et de chef d'orchestre, l'auteur, également professeur d'éducation musicale, juge qu'"une bonne part des difficultés rencontrées par les enseignants résident dans la non-maîtrise de certains 'micro-gestes d'action' vécus dans leur communication didactique et pédagogique."
Une posture plus ou moins dynamique ou apathique
Quels sont ces "micro-gestes" ? Par exemple, il s'agit du choix du placement lorsque l’enseignant donne une consigne, du fait de regarder ou non son auditoire, d’utiliser une gestuelle convaincante pour induire tel ou tel comportement chez les élèves... Jean Duvillard choisit d'en retenir cinq, suffisamment signifiants et récurrents : la posture gestuée, la voix, le regard, l'usage du mot, le positionnement tactique (placement, déplacement).
Lors de leur "entrée en scène", certains enseignants affichent une posture "dynamique" : dès la première impression, ils apparaissent comme sûrs d’eux, "à l’aise" avec la situation. D'autres en revanche présentent une posture plus ou moins "apathique" : ils semblent plus en retrait de la scène et apparaissent comme étant sans réelle conviction.
L'auteur cite le cas d'un enseignant qui "dès la deuxième minute se déplace d’un pas nonchalant, trainant et chaloupé en se touchant la barbe". "Ce geste personnel de se toucher la barbe semble nous dire : 'Comment vais-je m’y prendre aujourd’hui ?' ; surtout si, en plus, le pas n’est pas assuré et qu’aucune énergie ne semble venir soutenir cette attitude", analyse-t-il. La posture gestuée ainsi donnée à voir indique que l’enseignant "n’est pas en mesure de reprendre le pouvoir d’autorité sur le groupe."
Le regard peut blesser davantage que le mot
Le regard, la voix et son intonation, la parole et son débit, sont tout aussi déterminants : par exemple, "lorsqu’un groupe est très dissipé, nous avons pu constater qu’un propos trop lent n’arrivait jamais à prendre le dessus", souligne Jean Duvillard. Le regard, quant à lui, peut "blesser davantage que le mot, il est porteur d’une charge affective supérieure du fait qu’il constitue le lien qui se tisse au cœur de la relation." Il cite le cas de cet enseignant qui ne cesse de regarder ses élèves d’un air entendu semblant signifier : "De toute façon je ne pourrai rien tirer de vous."
Aucun signal perçu n’est donc neutre ou ne peut être considéré comme tel. "Nos observations montrent que trop nombreuses sont les actions gestuées qui ne sont pas en accord avec la volonté de communication du professeur", remarque l'auteur. Par conséquent, il suggère de développer la prise de conscience et la prise en compte des gestes professionnels et des micro-gestes, à travers la formation initiale et continue. "Sans réponse institutionnalisée à cette préoccupation légitime, trop d’enseignants et futurs enseignants continueront à se trouver confrontés aux mêmes obstacles, sans pouvoir en identifier les causes", résume-t-il.
La thèse est consultable ici
Diane Galbaud