Goncourt des lycéens: Comment le choix du lauréat vient aux élèves
Paru dans Scolaire le mercredi 11 novembre 2009.
Le 22ème Goncourt des Lycéens a été attribué lundi 9 novembre à Rennes à Jean-Michel Guenassia pour son roman Le club des incorrigibles optimistes (Albin Michel). Hier, mardi 10 novembre, J. M Guenassia présentait son ouvrage au public parisien, permettant à l’un des jurés lycéens, Thibaud, de se prêter au jeu de l’interview littéraire. La veille, ils étaient 12 lycéens à avoir participé à la délibération, 4 issus du bac littéraire, 4 inscrits en bac pro et 4 en bac S. Thibaud, élève en Bac pro commerce (Paris 19ème), a tout de suite été saisi par le livre lauréat: "J’ai eu des difficultés à lâcher l’ouvrage, à le faire tourner dans ma classe", reconnaît-il. Le roman dépeint une France gaulliste, ignorante de ce qui se passe à l'est du rideau de fer, dans la Russie stalinienne. On croise au fil des pages les figures de Kessel et de Sartre. C'est surtout un roman d'adolescence, celle de Michel Marini, âgé de 12 ans en 1959, amateur de rock et de baby-foot, peu concentré à l’école mais lecteur assidu de romans. Isabelle Pfeiffer, enseignante de français a suivi son élève à Rennes. "Thibaud m’avait affirmé: J’irai jusqu’en Bretagne pour défendre l’ouvrage de Guenassia". Elle se dit peu surprise par le choix final des lycéens: "Mes élèves m’avaient confié qu’ils retrouvaient beaucoup d’eux-mêmes chez Michel, le personnage principal du livre. L‘ouvrage est une forme de roman initiatique." L’enseignante a noté par ailleurs que les jeunes ont exclu peu à peu de la sélection Goncourt les ouvrages ayant trait à la guerre. "Il semblerait qu’ils aient privilégié l’évasion, la légèreté". La professeure se montre intarissable concernant l’expérience vécue en classe. "Avant je n’avais jamais entendu mes élèves parler de littérature pendant leur pause, en récréation. Chacun a lu en moyenne six ou sept livres en deux mois. En cours, je n’intervenais pas ou peu pour guider les échanges. Mes lycéens débattaient spontanément, argumentaient leurs choix, confiaient leurs doutes, leurs réserves. Voilà la forme pédagogique que j’ai toujours cherché à donner à mon enseignement".
Les enseignants découvrent les livres en même temps que les lycéens. " Ainsi, nous n’imposons pas de science universitaire". Il semble à Isabelle que ses élèves ne considèrent plus sa discipline tout à fait comme avant. Ils ont découvert que l’école n’était pas un huis clos, fermé sur l’actualité. "Ils tenaient soudain entre leurs mains les livres qu’ils voyaient le soir sur les étals des librairies". Océane, lycéenne en 1ère L, en Picardie, insiste sur les rencontres que le Goncourt des lycéens a suscitées, rencontres avec les auteurs, mais surtout rencontres avec les pairs: "En classe, des groupes se formaient par affinités. Il y avait le groupe des Incorrigibles optimistes, le groupe de La délicatesse, le groupe des Heures souterraines. Les élèves se rapprochaient en fonction de leur coup de cœur littéraire". Si le Goncourt est vécu comme une expérience humaine, Isabelle Pfeiffer s’explique aussi le succès de cette initiative par son caractère fortement médiatisé. "L’expérience fonctionne en classe parce que les élèves sentent qu’il y a un enjeu fort. Subitement, leur parole de lycéen compte, et elle porte loin. Les adultes prennent en compte leur avis pour décerner un prix de grande envergure". S’ensuit chez les élèves une forte exigence vis-à-vis des livres et des auteurs. "Mes élèves ont écarté les livres faisant peu de pages ou abordant des thématiques essentiellement intimistes. Je crois qu’ils voulaient élire un ouvrage épais, au style travaillé, capable de transmettre des expériences humaines importantes. C’est certainement l’image qu’ils se font d’un livre récompensé par le Goncourt".