Histoire : la question des programmes pose celle des manuels, et celle de l'usage que font les enseignants de leur liberté pédagogique
Paru dans Scolaire le jeudi 04 juin 2015.
L'histoire est à la fois une discipline scientifique, un moyen de comprendre le présent, mais c'est aussi "l'institutrice de la Nation", elle prépare les enfants à "l'adhésion à la Nation", et les enseignants doivent "assumer cette tension", à la condition d'en être "parfaitement conscients", car "faire de l'Histoire", c'est avoir "un rapport à la Vérité". Philippe Joutard, était chargé de la conclusion du "forum sur l'enseignement de l'histoire" à l'école et au collège, organisé hier 3 juin par le CSP (Conseil supérieur des programmes). L'historien a souligné de plus que l'opposition entre l'histoire mondiale et l'histoire de France était "un faux problème". Il cite Michelet, pour qui "le monde est un moyen d'expliquer la France".
Il rappelle les crises qu'il a connues depuis 1962 quand, jeune enseignant à Marseille, il avait le "programme Braudel", fondé sur l'étude des civilisations, et qu'il devait expliquer l'Islam aux enfants des rapatriés d'Algérie, ou l'URSS dans une ville où le vote communiste était très important. Au tournant des années 80, c'est la pédagogie de "l'éveil" qui est mal explicitée, et qui fait dire qu' "on ne fait plus d'histoire". Se pose déjà la question de l'absence de "formation continuée des enseignants". En 1985, Jean-Pierre Chevènement trouve que le programme n'est "pas assez national". Le reproche revient en 2008, après l'introduction des empires africains...
Les programmes... et les manuels
L'ancien recteur y voit quelque chose d'inquiétant. L'opinion s'enflamme "sans chercher à savoir ce qui se passe réellement". C'est d'ailleurs un reproche que les rédacteurs du projet de programme adressent même aux historiens présents à la tribune : ont-ils bien lu leur texte ? Philippe Joutard relativise. Il y a le programme, puis les documents d'accompagnement adressés aux enseignants, et qui ne sont déjà plus les programmes, puis viennent les manuels, puis les professeurs, puis les élèves...
Dominique Borne, ancien doyen de l'Inspection générale de l'Education nationale, est plus inquiet. Dans le premier degré, "on ne lit pas toujours les programmes" et les enseignants se fient au manuel. Or, faute de crédits, il est fréquent qu'il n'ait pas été renouvelé et se fonde sur un programme obsolète depuis longtemps. Au collège, les manuels "développent librement" leur vision du programme, sans aucun contrôle de la part de l'Etat, ce qui est "un scandale". D'ailleurs, les nouveaux manuels s'efforcent souvent de ressembler à ceux de l'ancien programme, pour ne pas dérouter les enseignants, réputés conservateurs.
Des connaissances et des compétences
Emmanuelle Picard (ENS de Lyon) souligne de "coût d'entrée" pour un enseignant de nouveaux points, s'ils veulent en faire une étude sérieuse. Dès lors, ils se réfèrent aux manuels qui "vont créer une doxa" sur le sujet. Mais parmi les enseignants présents, à la tribune comme dans la salle, ce sont des questions moins théoriques qui sont posées. Les programmes actuels sont trop lourds, et il faut courir après le temps, au risque de laisser des élèves sur le côté. A moins de prendre en compte leur "grande souffrance", de s'arrêter pour les "rende acteurs", et de mettre l'accent sur les compétences acquises à partir d'un point d'histoire plutôt que sur la totalité des connaissances à acquérir. Il ne s'agit pas de préparer les élèves à "questions pour un champion" mais de leur donner "des armes pour comprendre le présent", par exemple ce qu'est le pouvoir.
En dernière analyse, la question n'est-elle pas ailleurs ? L'interdisciplinarité qu'instaure la réforme du collège ne crée-t-elle pas un sentiment d'insécurité ? Les enseignants ne vont-ils pas se sentir obligés de traiter toutes les questions qui seront laissées à leur choix, et de courir autant qu'avant ? Il faut "prendre à bras le corps la question des pratiques pédagogiques", souligne une enseignante membre du collectif Aggiornamento. Philippe Joutard invite les enseignants à repousser les limites de leur liberté pédagogique et à "mettre le programme de côté" pour que les élèves qui ne maîtrisent pas les compétences minimales acquièrent les "notions fondamentales". A travers les programmes d'Histoire, c'est la situation du corps enseignant et ses rapports à l'institution qui sont interrogés.
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