Archives » Actualité

ToutEduc met à la disposition de tous les internautes certains articles récents, les tribunes, et tous les articles publiés depuis plus d'un an...

Redoublement : L'école pour tous est un projet pour lequel il faut se battre (M. Lussault, O. Rey)

Paru dans Scolaire le mercredi 04 février 2015.

En marge des recommandations rendues ce mercredi 4 février, Touteduc a rencontré Michel Lussault directeur de l’Institut français de l’éducation, et Olivier Rey. Celui-ci, en charge des partenariats au sein de l’IFE, a animé la conférence de consensus.

ToutEduc : Alors qu’un décret limitant le redoublement est paru en novembre et que de nombreuses recherches signalent déjà le caractère peu efficace de cette mesure, quel est l’intérêt d’une conférence de consensus sur le sujet ?

Michel Lussault : Il y a encore beaucoup de choses énigmatiques. A 15 ans, presque 30% des élèves ont redoublé, soit un taux particulièrement élevé. Or, les études montrent de façon stable et certaine que ce n’est pas efficace. Le redoublement est un symptôme du fonctionnement du système scolaire. Nous avons aussi voulu savoir pourquoi, alors que beaucoup de choses sont faites pour suivre les élèves en difficulté, les mesures qui ont un effet positif ne sont jamais agrégées. Il y a là quelque chose qui renvoie à un problème de pilotage du système, à son organisation, et aussi à une culture professionnelle du milieu éducatif où on diffuse très peu les bonnes pratiques.

ToutEduc : Comment décririez-vous les mesures que vous proposez ?

Michel Lussault : Elles visent à lever des freins de trois natures : des freins pédagogiques, des freins organisationnels, des freins liés aux représentations sociales. Surtout, nous voulons faire reculer le redoublement grâce à une meilleure organisation de l’école, et la mise en place d’aides à la difficulté au sein de la classe, pas à l’extérieur.

ToutEduc : Des enseignants estiment pour autant que le redoublement peut être bénéfique, notamment lorsque des élèves sont motivés et s’engagent à travailler l’année suivante…

Olivier Rey : Au-delà de la perception personnelle qui s’appuie sur une progression des résultats de l’élève sur le court terme, les recherches montrent que le redoublement n’a aucune influence positive sur le moyen et le long terme.

ToutEduc : Ils disent aussi qu’ils n’ont parfois pas d’alternatives. Des inspecteurs s’en inquiètent aussi. Que leur répondez-vous ?

Olivier Rey : Comment résoudre la difficulté scolaire, c’est la vraie question. Il y a des pistes d’alternatives pédagogiques réalistes, des dispositifs qui ont fait leurs preuves. Mais elles manquent parfois d’étayage scientifique, d’évaluations sérieuses, et d’institutionnalisation. Par exemple les PPRE (Projet personnalisé de réussite éducative) ont l’air de donner de bons résultats. Il faudrait prendre le temps de les observer puis de les mettre en place de façon systémique. Les enseignants ont souvent peur qu’un dispositif chasse l’autre.

ToutEduc : Selon vous, le redoublement est un symptôme du fonctionnement du système scolaire. Que voulez-vous dire ?

Michel Lussault : Dans notre pays, on ne traite pas la difficulté scolaire au sein de la classe. On préfère mettre des élèves à l’écart. La vraie question est"comment traite-t-on les inégalités ?" Aujourd’hui, beaucoup de gens ne croient pas à l’école pour tous.

ToutEduc : C’est un constat fait par les enseignants…

Michel Lussault : L’école pour tous, c’est un projet pour lequel on doit se battre. Les enseignants se découragent parce qu’ils ne sont pas forcément équipés face à la grande difficulté scolaire. Mais à l’évidence, le redoublement ne sert à rien. Au mieux, il va calmer pendant un an des gamins un peu agités. Mais trois ou quatre ans après, il n’y a aucun bénéfice. Aujourd’hui, 90% des décrocheurs ont redoublé le CP.

ToutEduc : Ils disent aussi qu'on leur supprime un moyen de pression.

Michel Lussault. On ne l’interdit pas sauf en cycle 2, où il ne sert à rien. Mais il faut trouver des solutions de remédiation en classe. Accompagner les enseignants, les outiller. Ce n’est pas en les payant davantage qu’on va résoudre tous les problèmes. Les enjeux portent sur la formation initiale et continue, le dialogue avec les familles. Toujours pour le cycle 2, nous proposons un cycle-un professeur : l’enseignant, particulièrement outillé sur les apprentissages fondamentaux, garderait sa classe pendant les trois années du cycle.

Olivier Rey : On n’apprend pas parce qu’on nous menace. On apprend quand on a envie d’apprendre. Et la difficulté scolaire n’est pas liée à une différence de nature chez les élèves. A l’exception des élèves souffrant d’une pathologie avérée, tous les enfants montrent une appétence pour les apprentissages. Les bons élèves ont des petites difficultés, les mauvais de grosses difficultés. Le tout est d’armer les enseignants avec des ressources, pas avec des fouets.

ToutEduc : Les mesures que vous préconisez peuvent coûter cher. Par exemple, la réduction des tailles de classe.

Olivier Rey : La suppression du redoublement permet de réaliser une économie de deux milliards par an, mais pas tout de suite. Il y a un investissement à faire, en réduisant la taille des classes de manière importante, avec cinq élèves de moins. Si ce n’est pas possible partout, on peut se concentrer sur l’éducation prioritaire. Le dispositif plus de maîtres de classes est aussi une piste intéressante.

Michel Lussault : Beaucoup de choses coûtent cher sans forcément faire la preuve de leur utilité. Le pilotage du système est extrêmement dispendieux, les options en lycée coûtent très cher, le bac génère des dépenses monstrueuses, le brevet signe l’arrêt des cours un mois avant la fin de l’année scolaire… L’éducation a un coût, notre souci est que l’argent investi le soit au mieux. C’est là qu’on peut être très critique sur le système français. Si on veut maintenir l’école pour tous, cela coûte de l’argent.

ToutEduc : Vous avez choisi de ne pas donner de priorité dans vos propositions. Pour ne fâcher personne ?

Michel Lussault : L’IFE et le CNESCO sont des acteurs capables de cerner le problème et de faire des suggestions. Nous ne sommes ni un syndicat, ni un parti politique. Nous disons ce que la recherche a établi solidement et ce que les praticiens estiment faisable.

Olivier Rey : Dire que la difficulté scolaire doit se résoudre dans la classe n’est peut-être pas révolutionnaire, mais cela va quand même à l’encontre de beaucoup de dispositifs depuis trente ans.

Michel Lussault : A travers certaines propositions, il y a une critique assez claire du pilotage actuel. Proposer autre chose que le redoublement, et dire qu’on peut s’attaquer autrement à la difficulté scolaire revient à tirer sur un brin de laine. Et aujourd’hui, quand on tire sur un fil, on détricote tout car on s’aperçoit qu’il faut changer d’autres choses. C’est ce qui paralyse l’institution. Mais en sociologie des organisations, c’est un signe certain que le système doit changer !

 

 

 

Propos recueillis par Muriel Florin

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →