L'éducation civique, parent pauvre de l'enseignement en France (rapport du CNESCO)
Paru dans Scolaire le mardi 13 janvier 2015.
Sur le papier, la France est en tête des pays européens en matière d'éducation à la citoyenneté. Mais sur le terrain, l'enseignement est mal encadré et la mise en pratique souvent négligée, souligne un rapport du CNESCO (conseil national d'évaluation du système scolaire), publié le 13 janvier et rédigé "dans l'urgence", après les attentats qui ont endeuillé l'Hexagone.
Comment la société française a-t-elle été "capable de générer en son sein, sur son territoire, par des jeunes grandis dans ses écoles, de telles atrocités"?, se demande en préambule de cette synthèse Nathalie Mons, présidente du CNESCO. Pour elle, les évènements amènent à interroger le rôle du système scolaire et surtout l'efficacité de "l'apprentissage de la citoyenneté à l'école".
En théorie, la France est "le seul pays européen à dispenser pendant douze années consécutives un enseignement à la citoyenneté obligatoire, clairement identifié et associé à des quotas d'heures définis", note le rapport. En Grande-Bretagne, par exemple, la matière n'est obligatoire qu'au collège. La France figure aussi parmi les rares pays à mêler des enseignements théoriques définis et des mises en pratique qui passent par la participation des élèves aux instances de gouvernance de leur établissement ou des projets d'action éducative, dans leur école ou en dehors.
Un apprentissage "de façade"
Mais le rapport dénonce un fort décalage entre "d’un côté, les intentions proclamées en matière de participation des élèves aux instances de gouvernance de leurs établissements (conseils de classe, conseil de la vie lycéenne, maison des lycéens...) et, de l'autre, la réalité de cette vie scolaire". Face à ces engagements de "façade", sévèrement dénoncés dans un rapport de la Mission sur l’enseignement de la morale laïque de 2013, les lycéens s'en désintéressent, notamment les filles. Résultat : "les valeurs citoyennes de la République apparaissent hors sol et désincarnées", relève la synthèse du CNESCO.
Au niveau de l'enseignement théorique, les heures affectées à l'éducation à la citoyenneté, "intégrées le plus souvent à l’histoire-géographie, ne sont pas toujours dispensées dans leur totalité. Ces heures peuvent servir notamment à achever la couverture des programmes scolaires dans d’autres matières." Si au lycée général, l'enseignement est plutôt préservé, avec une demi-heure d'éducation civique, juridique et sociale (ECJS) spécifiquement dédiée à la matière, dans la voie technologique, "aucun nombre d'heures ne lui est attribué" et il se confond avec l'histoire-géographie dans les séries professionnelles.
"Parent pauvre" du système scolaire, l'éducation à la citoyenneté l'est aussi dans son évaluation : "dans un pays centré sur les examens et la notation, il faut noter que cet enseignement est évalué de façon distincte et peu cohérente selon les niveaux d’enseignement". Pris en compte dans la notation au diplôme national du brevet et au baccalauréat professionnel, il n'est pas évalué au baccalauréat général.
Pour un enseignement "actif" de la citoyenneté
Cette faiblesse de l'éducation à la citoyenneté tient aussi au fait qu'elle a été marquée "par des absences ou des allégements notables à certaines périodes, notamment dans les années 1970 et début 1980". Au collège, l'éducation civique n'a été réintégrée qu'en 1985 et au lycée, elle a fait son apparition en 2000 dans les filières professionnelle et générale. Jusque-là, elle n'y était pas du tout enseignée.
"Une réflexion approfondie sur l’apprentissage de la citoyenneté est entamée aujourd’hui notamment autour de la refonte du socle commun", conclut le rapport, soulignant que "le conseil supérieur des programmes (CSP) a produit en juillet 2014 un projet d’enseignement moral et laïque". Le rôle du CNESCO sera alors de surveiller et d'évaluer la mise en pratique de ces projets, notamment en ce qui concerne les apprentissages "actifs" de la citoyenneté, "par la participation des jeunes (débats argumentés, projets citoyens dans et hors des murs, participation aux instances de gouvernance des établissements...)".