Le PLF, occasion de se pencher sur la grande difficulté scolaire (S. Tolmont, rapporteure pour avis de la Commission des affaires culturelles, AN)
Paru dans Scolaire, Orientation le mercredi 29 octobre 2014.
"L'avènement du collège unique, annoncé par la loi Haby de 1975 et toujours reporté depuis, suppose d’aller bien au-delà de la mise en œuvre du socle commun de connaissances, de compétences et de culture et des nouveaux programmes de ce niveau d’enseignement", estime Sylvie Tolmont. La députée (PS) est rapporteure pour avis du budget de l'enseignement scolaire et elle "a centré son travail sur la situation des sections d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) et des établissements régionaux d’enseignement adapté (EREA)". Pour elle, la disparition de ces structures est "inconcevable à court terme", mais elle "devrait rester une hypothèse de travail pour servir d’aiguillon à la transformation d’un collège qui reste marqué (...) par la pédagogie frontale du lycée d’enseignement général".
La rapporteure, membre de la commission des affaires culturelles, rappelle quelques chiffres. Les crédits de l’enseignement scolaire progresseront en 2015 de 1,6 milliard d’euros (+ 2,4 %) à 66,40 milliards d’euros dont, hors enseignement technique agricole, 65,018 Mds pour 2015, 65,598 Mds pour 2016 et 67,020 Mds pour 2017, soit + 3,73 % par rapport à la loi de finances initiale 2014. Le PLF prévoit pour 2015 la création de 9 421 postes. Le dispositif des "emplois d’avenir professeur" bénéficiera à 10 000 jeunes sur la période 2015-2017. Quant au plan "éducation prioritaire", il "se traduira à la fois par une forte mobilisation des créations de postes au service de cette politique – soit 7 600 ETP sur la période 2014-2017 – et par une provision significative de 100 millions d’euros au titre de la revalorisation des indemnités".
Des structures d'exception qui contredisent les objectifs de la refondation
Ces moyens sont destinés à la refondation de l'Ecole qui prévoit qui pose "deux grands objectifs", "la réaffirmation du collège unique" et "la promotion de l’école inclusive" que vient contredire l'existence de "structures d’exception". Celles-ci accueillent, "au niveau du collège et du lycée", des élèves "ne maîtrisant pas toutes les compétences attendues à la fin du CE1". Les SEGPA scolarisaient 94 384 élèves à la rentrée 2013 et les EREA 10 250. "En un peu plus de dix ans, les effectifs des SEGPA ont baissé de 19 400 élèves (- 17 %)." Ces élèves sont plus souvent des garçons ayant redoublé le CP (c'est le cas de 84 % des élèves de SEGPA contre 4,4 % hors SEGPA), leur père est ouvrier non qualifié (23 % vs 9,4 %), ils ne sont que 56 % (vs 73 %) à vivre avec leurs deux parents, et 17 % d'entre eux sont enfants d'une famille immigrée contre 10,5 %. Quant aux élèves des EREA, ils se situent "au-delà de la grande difficulté scolaire et psychologique", et, de ce fait, ils ne pourraient pas "survivre dans un établissement ordinaire", selon les termes d'une enseignante repris par la rapporteure.
Celle-ci souligne que, "une fois inscrits en SEGPA, les élèves y effectuent très majoritairement leur scolarité de la 6ème à la 3ème" puisque moins de 2 % d'entre eux rejoignent les classes du collège. "Faute de données disponibles, on ne peut suivre à la trace les retours éventuels d’élèves d’EREA dans la voie classique", mais "la scolarité dans ce type d’établissement est encore plus tubulaire qu’en SEGPA".
Une inclusion raisonnée des SEGPA
La députée milite pour une "inclusion raisonnée" des SEGPA "en constituant, dans plusieurs disciplines, des groupes d’élèves rassemblant ceux des sections et ceux d’une classe ordinaire de référence", en éducation physique et sportive, "ce qui commence à être fait", mais aussi en éducation artistique, technologie et "peut-être", histoire- géographie. Il faudrait aussi "profiter de la pause méridienne pour organiser, comme l’a suggéré la Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public (PEEP), des activités rassemblant les collégiens, quel que soit leur profil, dans les ateliers de la SEGPA autour de travaux pratiques". Par ailleurs, "des liens étroits devraient être établis entre les SEGPA et les lycées professionnels géographiquement proches", ce qui donnerait aux élèves la possibilité de suivre, "dans les établissements concernés, certains enseignements".
Mais Sylvie Tolmont incite la ministère à "une certaine prudence" et à recourir "dans un premier temps, à une expérimentation menée à grande échelle". La formule "d’une affectation en 6ème SEGPA, combinée à une scolarisation partielle en classe 'ordinaire', pourrait être mise en œuvre, à partir de la prochaine rentrée scolaire, dans plusieurs établissements relevant de différentes académies pour en évaluer les effets". Elle invite aussi le ministère à corriger ou atténuer les différences de traitement entre les enseignants du premier degré et les professeurs des écoles exerçant en SEGPA "qui ne bénéficient pas de l’indemnité de suivi et d’accompagnement des élèves (ISAE) créée l’année dernière" tandis que le taux des heures supplémentaires qui leur sont payées "n’est pas aussi élevé que celui des professeurs certifiés". De plus, les directeurs de SEGPA "devraient pouvoir intégrer le corps des personnels de direction".
Former tous les enseignants à la grande difficulté scolaire
Elle considère de plus qu'il y a urgence "à former les enseignants à la grande difficulté scolaire" puisque "tous les professeurs y seront confrontés un jour ou l’autre" et qu'elle n'est "en rien 'contenue' dans les murs des SEGPA qui ne scolarisent que 2,9 % des collégiens, mais concerne, selon des évaluations concordantes, environ 11 % des élèves". Un plus grand nombre d’enseignants, "y compris de professeurs certifiés", devrait obtenir les certifications correspondantes ("option F du CAPASH et 2 CA-SH") tandis que "la formation initiale devrait aborder la question de l’enseignement adapté et apprendre aux enseignants à mieux différencier leur pédagogie".
En attendant, supprimer les SEGPA et les EREA constituerait pour notre système scolaire "une perte sèche irréparable", ces structures constituant "une chance, voire un modèle pour l’école d’aujourd’hui, car ils permettent la mise en œuvre d’une pédagogie exceptionnellement attentive aux besoins de certains élèves". Leur disparition ne peut être "envisagée que sous de strictes conditions et à long terme".
Le rapport de Sylvie Tolmont n'est pas encore publié sur le site de l'Assemblée nationale.