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Le numérique pour l'éducation : une politique déséquilibrée (Cour des comptes)

Paru dans Scolaire le mardi 02 juillet 2019.

Le déploiement du numérique pour l'éducation a donné lieu à des plans successifs qui ont entraîné "un foisonnement d’initiatives aboutissant à un paysage scolaire très morcelé" estime la Cour des comptes dans un rapport daté du mois de février, mais récemment révélé par le Café pédagogique. Elle note que le numérique est devenu avec la loi de 2013 "un axe de politique éducative". Mais "la priorité donnée au financement d’équipements individuels pour les élèves s’est vite avérée une politique dépassée et inutilement coûteuse" puisque, "en 2017, les jeunes âgés de 12 à 17 ans apparaissent très bien pourvus en équipements numériques" et que 95 % d'entre eux "disposent d’un ordinateur, et d’une connexion à la maison". Absorbant trop de moyens, "elle a compromis la réalisation d’investissements dans les infrastructures et les réseaux" tandis que le ministère "ne s’est pas réellement mobilisé pour former ses enseignants dans la perspective d’une pédagogie appuyée sur le numérique".

Le rapport examine divers déséquilibres, tout d'abord au sein de l'administration centrale de l'Education nationale et de la DNE, direction du numérique pour l'éducation, "forte de 207 agents", mais dont plus des deux tiers vont aux systèmes d'information et 46 seulement au développement du numérique éducatif. "Une approche intégrée du numérique ne s’est pas encore imposée", les deux approches "collaborent, mais restent distinctes" et ce qui est vrai à Paris l'est "plus encore dans les services déconcentrés". Second facteur de déséquilibre, "l'essentiel des moyens financiers du plan numérique de 2015 provient du programme d’investissements d’avenir. La DNE n’a en fait jamais disposé de la maîtrise directe de l’essentiel des crédits alloués à la politique dont elle est chargée (...). Ce mode opératoire s’est avéré être un handicap pour le déploiement de cette politique, en raison de la complexité des circuits budgétaires et de gestion." De plus, une bonne part des actions financées au titre du programme INEE (Innovation numérique pour l’excellence éducative) a servi à financer "des équipements relevant de dépenses informatiques de fonctionnement courant" tandis que "les retards n’étaient pas résorbés s’agissant de l’accès des établissements scolaires à des infrastructures et réseaux numériques de qualité".

Des situations inégales selon les collectivités

La Cour relève des difficultés du côté des opérateurs, notamment de l'ONISEP dont "le retard de la conversion numérique apparaît néanmoins comme un anachronisme, notamment au regard des pratiques des jeunes, plus familiers des services en ligne que de la documentation papier", ce qui n'empêche pas l'Office national d'information sur les enseignements et les professions "de faire de la production de ressources papier sur une large échelle un de ses objectifs prioritaires" tandis que certaines productions de la DGESCO (la direction de l'enseignement scolaire) concurrencent celles du CNED.

Le rapport s'attarde sur les dépenses des collectivités. "A peine plus d’un tiers des communes déclarent avoir une politique en matière de numérique éducatif". En ce qui concerne les départements, ils ont financé, à parts égales avec l’État "des équipements numériques mobiles individuels (tablettes) auprès des élèves et des enseignants" ou des "classes mobiles" et ils ont saisi "cette opportunité pour équiper leurs collégiens". Les achats de tablettes "s’envolent à partir de 2016" tandis que "les dépenses d’infrastructures de réseaux des départements ne représentent en 2017 que 17% de l’effort des départements en faveur du numérique au collège". Le poids des dépenses d’infrastructures est plus élevé pour les régions qui cherchent d'autre part "à trouver le bon équilibre entre l’aide au papier et le financement du numérique". Elles "voient avec inquiétude la perspective du remplacement des manuels qu’il faudra financer à l’occasion de la réforme du lycée" et certaines "expriment le souhait d’une généralisation des manuels numériques, qui ne sont pourtant pas aujourd’hui à maturité".

Au total, "l’accès au numérique n’est pas garanti pour tous les élèves, et au cours de son parcours scolaire, un élève n’a pas l’assurance, tant s’en faut, de bénéficier d’une continuité pédagogique: le numérique est peu développé à l’école élémentaire, puis inégalement déployé au collège et au lycée."

Des ENT sous-utilisés

C'est notamment le cas des ENT, les "espaces numériques de travail" dont "le ministère a encouragé la généralisation". Si "toutes les régions déploient des ENT pour leurs lycées", la dépense par élève varie entre 4 € et 7,2 € tandis que les départements ont "des politiques très différenciées sur la question", un quart d'entre eux ne les finançant pas du tout. Les marchés "se répartissent entre les sociétés KOSMOS, Itslearning et ITOP", avec "quelques rares cas de solutions open source" et une dépense par élève qui "varie de 2,4 € à 19,4 € d’un département à l’autre". Une enquête a révélé " la faiblesse des usages pédagogiques: les ENT sont surtout des outils de liaison avec les familles, appréciés parce qu’ils facilitent le suivi par les parents de la scolarité de leur enfant grâce à la mise en ligne du cahier de texte, des notes et du signalement des absences et retards". D'ailleurs, beaucoup d'enseignants méconnaissent "l'existence de ressources pédagogiques éditoriales accessibles via l’ENT". Ils sont 7 ou 8 sur 10 qui "déclarent ne jamais utiliser les ressources ou les services de l’ENT pour préparer leurs cours, personnaliser l’accompagnement des élèves, produire des contenus pédagogiques avec les autres enseignants ou encore faire collaborer les élèves entre eux", ils préfèrent recourir à des solutions "plus ergonomiques et faciles d’accès dont l’exemple le plus emblématique sont les services Google". De fait, l’Education nationale n'est pas en mesure "d’offrir des solutions techniques aussi performantes que ces outils externes 'prêts à l’emploi'. Elle perd donc la main sur des logiciels implantés dans son parc informatique et/ou utilisés par les agents et les élèves". "Une grande partie des applications de gestion de la vie scolaire est aujourd’hui entre les mains d’opérateurs privés (...) en situation de quasi-duopole": Index-Education avec PRONOTE et Access Education avec la solution OMT Access. De plus "nombre d’établissements se sont procuré auprès d’éditeurs informatiques privés des logiciels de confection des emplois du temps" dont les fonctionnalités "se sont progressivement étendues à la gestion de la vie scolaire et aux relations avec les parents, au point de supplanter souvent les modules 'vie scolaire' des ENT. Dans presque tous les établissements du 2nd degré, la confection des emplois du temps repose désormais sur un unique logiciel", celui d'Index-Education. Or "ne peut être exclu le rachat à terme d’une telle société, en pleine croissance, par des éditeurs étrangers qui se verraient ainsi donner un accès privilégié au cœur même du système éducatif français".

Enfin la Cour s'interroge sur les volets formation des plans de promotion du numérique, prévus "sans que soit connu le niveau de maîtrise des outils numériques de la population enseignante". Le ministère envisage de créer "un nouveau cadre de référence, dénommé CoMUN-F (compétences Métiers dans l’utilisation du numérique-Formation)" qui pousserait les enseignants "à se qualifier progressivement, en validant leurs nouvelles compétences au fil de leur carrière". "Le développement de ces nouveaux parcours serait financé chaque année à hauteur de 1,2 M€."

Un socle de base

Et le rapport conclut qu'il faudrait doter les établissements "d’un socle numérique de base, combinant des infrastructures et des équipements mis en place par la collectivité responsable avec un engagement de l’État sur la formation des enseignants et la mise à disposition de ressources éducatives".

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